Chapitre 7
Pendant qu'au palais les célébrants allaient dormir, en ville les gens se levaient. Trompel se réveilla à son heure habituelle. Après ses ablutions, il descendit prendre le petit déjeuner et demanda à Joos Kampjn, qui le servait, s'il y avait des activités spéciales ce jour-là, vu que c'était pour eux un jour de fête si important. Elle lui dit qu'après le déjeûner une fanfarre parcourrerait la ville en jouant de la musique du folklore local. Ensuite il y aurait un match de football entre l'équipe des commerçants et celle des mineurs. Et le soir tard, il y aurait un feu d'artifice lancé de la forteresse.
- Il n'y a rien de prévu à midi? -demanda-t'il?
- Non. Pourquoi?
- C'est que le jeune Zidovske m'a dit d'être à midi à la Grand Place. Qu'il pourrait y avoir quelque chose d'intéressant.
- Alors, c'est que les étudiants doivent avoir préparé quelque chose. Cela ne m'étonnerait pas. Mais s'il en est ainsi, ils ont mal choisi le jour. Et l'endroit. Le bourgmestre ne sera pas à l'hôtel de ville mais chez lui. Et ils ne pourront pas contacter le duc avant, au moins, le 23. Allez-y: ainsi vous saurez un peu plus de ce qui se passe ici!
- Je ne le perdrais pour rien au monde. Merci.
Ayant terminé de déjeuner, il monta à sa chambre y lut de nouveau, sur son laptop, les documents que Kaminsky lui avait envoyé au sujet du mythe et du festival d'Osiris. Il continuait à être préoccupé par ce qui pouvait s'être passé durant la nuit au château et se demandait si son ami serait encore en vie, se lamentant de n'avoir pu trouver le moyen de s'y introduire. Il se rendait compte qu'il ne servait à rien de se faire du mauvais sang et décida, pour passer le temps, de faire un tour dans un autre secteur de la ville jusqu'à l'heure du rendez-vous. Il mit son pardessus pour se protéger du froid hivernal puis sortit, se dirigeant vers les anciennes églises que Zidovske lui avait signalées sur la carte.
En arrivant à la première, il fut surpris. Elle n'avait rien de l'aspect roman ou gothique des églises médiévales habituelles, pas plus que le plan en forme de croix latine ou celui en croix grecque de l'art byzantin. Elle avait une façade basse et large et un plan rectangulaire, comme les temples égyptiens, bien qu'il y avait quelques fenêtres avec arc brisé et une rosette circulaire au dessus de la porte d'entrée. Et au centre de la rosette, il y avait tois lettres: IHS. Il savait que le H était la forme médiévale de représenter l'X et que IXS correspondait aux initiales de trois mots grecs: Iesos Xristos Soter, qui signifie Jésus Christ Sauveur. Quelques sorciers et tarotistes prétendaient que ces lettres faisaient référence à quelque chose de beaucoup plus ancien: Isis-Horus-Seth, mais cela était absurde car l'alphabet latin n'était pas si ancien. L'intérieur de l'église, cependant, était meublé comme toute église chrétienne: un autel, un lutrin, des bancs. Aucune statue ni image de saint, comme c'était l'habitude dans les temples protestants, où l'on ne vénérait pas les saints. Mais la construction, toute de pierre visible, était sans aucun doute médiévale.
Quand il arriva à la seconde, il trouva une image plus familière. Elle était de style ogival, avec une tour carrée surmontée d'un clocher. Mais elle n'avait pas non plus de statue ni à la façade ni à l'intérieur. En leur lieu, des deux côtés de la porte, on voyait en relief une croix hansée: l'ankh égyptien, symbole de vie. Il apprendrait plus tard que c'était en réalité l'écusson de la principauté.
Peu avant midi, il arrivait à la Grand Place. Devant l'hôtel de ville, il y avait des mâts avec des drapeaux. Quelques uns avaient deux bandes horizontales, bleue claire au dessus et verte en dessous et, sur les deux, au centre, un cercle jaune. Les autres étaient blanches avec une croix hansée dorée au milieu. Il vit aussi que la place s'emplissait peu à peu de jeunes gens qui portaient des pancartes. Dans bien des cas, il ne comprenait pas le texte qu'elles portaient, parce qu'elle étaient en tchèque. Mais il y en avait quelques unes en allemand et même en anglais:
- "Le futur est à nous!"
- "Science pour Osernj!"
- "Nous voulons les nouvelles technologies!"
- "Adieu au passé!"
- "Intégration au monde!"
A midi, plusieurs jeunes montèrent aux mâts, enlevèrent les drapeaux et les remplacèrent par des banderoles noires. Ensuite deux d'entr'eux montèrent les marches du perron de l'hôtel de ville et il se fit le silence. Ils commencèrent à parler à la multitude. Trompel, qui ne comprenait rien, trouva du regard l'étudiant qu'il connaissait et s'approcha de lui, lui demandant de traduire.
- C'est notre pli de pétition -lui dit-il-. Le même que nous avons déjà présenté au bourgmestre. Mais, maintenant, nous exigeons de parler directement au duc, sans quoi nous bloquerons toutes les activités de la ville.
Quelqu'un cria quelque chose, du milieu de la foule. Ensuite les autres se mirent aussi à crier et commencèrent à se déplacer.
- Ils disent que nous perdons notre temps ici, parce que le bourgmestre est chez lui. Il est le seul qui peut transmettre le message au duc. Et nous devons aller chez lui.
- Que représentent les drapeaux qu'ils ont enlevés?
- Celui qui a des franges est notre drapeau national: il représente le ciel, la terre et le soleil. Le blanc est l'emblème du duc.
Ils suivirent la multitude, qui prenait une des rues adjacentes. Après un parcours de quelques minutes, ils se groupèrent devant une maison aucunement différente de ses voisines mais qu'ils connaissaient bien, de toute évidence. Les deux leaders frappèrent à la porte pendant que ceux qui portaient des pancartes les agitaient et criaient leurs revendications.
- C'est la maison du bourgmestre - dit Zidovske.
Celui-là sortit et comença à dialoguer avec les premiers jeunes gens. Il se fit le silence. Puis on entendit la voix du bourgmestre. Zidovske traduisit:
- Il dit que nous nous sommes pressés inutilement. Le duc a convoqué une réunion extraordinaire du Conseil pour le 23 à onze heures du matin, avec une invitation spéciale aux jeunes gradués dans des universités étrangères. Il dit que le duc fera des annonces qui changeront totalement le futur et l'importance de la principauté. Lui devait remettre cet après-midi les invitations à tous ceux qui sont convoqués. Je crois que nous avons commis une erreur. Mais qui pouvait deviner un tel changement après les négatives antérieures?
- Ceux qui savaient ce que signifie réellement la date d'aujourd'hui -répondit Trompel.
- De quoi parlez-vous?
- Mon ami historien: vous n'avez jamais entendu parler du calendrier maya? Des prévisions astronomiques égyptiennes? Des mythes hopi?
- Je n'ai pas étudié à fond des cultures aussi anciennes.
- Quelle malchance! Vous auriez su que ces trois cultures calculèrent qu'aujourd'hui ne commence pas seulement une nouvelle année astronomique mais aussi une nouvelle ère pour l'humanité et que la nuit passée était la dernière de l'ère qui a commencé avec le déluge universel. Ne vous étonnez pas si, aujourd'hui, il se passe encore d'autres faits inattendus!
- Et comment savez-vous cela? Vous êtes aussi historien ou archéologue?
- Non. Je ne suis qu'un journaliste, mais bien informé et avec de bonnes sources.
- Et vous saviez que quelque chose allait se passer ici?
- Pas du tout. Mais ce qui se passe ne me surprend pas. Il est fort possible qu'il se passe des choses semblables en divers autres endroits du monde. Je serai impatient de savoir ce que dira le duc le 23!
- Moi aussi. Mais vous le saurez sûrement, à moins que vous ne partiez avant.
- Je n'en ai pas du tout l'intention. De plus, j'aimerais revoir le professeur Kaminsky. Comme il est maintenant au palais, il pourra peut-être nous donner des détails au sujet des plans du duc.
- Je l'espère. J'essayerai aussi de le revoir. Maintenant, il faut que je rejoigne mes amis. Adieu!
- Adieu et merci!
Trompel rentra alors à l'auberge. Il était temps de déjeûner et la longue promenade lui avait ouvert l'appétit. Malgré ce qu'il avait dit au jeune historien, la déclaration du bourgmestre l'avait surpris, mais agréablement en réalité. Il voyait renouvellée son espérance de ce qui rien de mal ne soit arrivé à l'égyptologue.