24/11/2009

L'héritage 5.2.

Une explosion suivie d'un court bruit de cascade réveilla Trompel en sursaut. Il s'appêtait à se glisser sous le lit pour se protéger lorsque, mieux réveillé, il se rendit compte qu'un voisin peu sensible aux convenances sociales venait d'utiliser les toilettes adjacentes. Un coup d'oeil à son réveil l'informa qu'il était à peine une heure et demie du matin et qu'il avait à peine dormi une heure. Maudissant le bruit intrus, il tenta de retrouver le sommeil, mais il semblait que la partie analytique de son cerveau en avait décidé autrement et préférait passer en revue les derniers événements.

Ce que l'abbé Bochout lui avait dit au passage au sujet du trafic de drogue l'avait inquiété et, à l'aéroport de Santiago, il avait acheté une revue qui abordait ce thème. Il alluma la lumière, chercha la revue et se mit à lire. L'article abordait le trafic de la cocaïne dans les pays andins et se basait sur un rapport des Nations Unies [réel, divulgué en juin 2008] qui commençait avec l'Argentine, où avait été enregistré le plus haut taux de consommation de cocaïne de l'Amérique du Sud et le deuxième de toute l'Amérique, après les Etats-unis. Mais ce pays n'est pas un producteur. La drogue lui arrivait de la Bolivie et du Chili.

Le Chili avait été constitué en couloir, spécialement pour envoyer la drogue du Pérou et de la Bolivie vers l'Europe. Trompel savait déjà ce qui se passait dans des quartiers comme La Legua. Mais il lut de plus que, dans les "poblaciones" (quartiers périphériques) du sud de Santiago, les narcos recourraient aux anciens membres des groupes subversifs d'extrême gauche. Beaucoup de ceux-çi avaient mis en vente leurs services durand la deuxième moitié de la décade de 1990, quand les vols de banques et de transports de valeurs se firent de plus en plus risqués. "Des gens qui, après avoir lutté contre la dictature de Pinochet fut laissée à son sort après le retour à la démocratie" et qui facilièrent alors aux trafiquants l'accès à de meilleures armes, leur enseignèrent à esquiver la police et à minimiser les interceptions téléphoniques. [Journal "El Mercurio" - Revue "El Sábado", 7-02-2009]

Au Pérou, tout comme en Colombie, les narcos s'étaient unis à la guérilla, dans ce cas le Sentier Lumineux. Mais ensemble, ils avaient été déroutés au temps du président Fujimori et, actuellement, en entendait peu parler de trafic dans ce pays. Il était cependant indoutable qu'il servait encore -tout au moins- de corridor pour encheminer la drogue depuis la Colombie vers le Chili, car étaient nombreuses les confiscations faites par la police chiliennes dans l'extrême nord du pays et à l'aéroport de Pudahuel (Santiago) dont l'origine était le Pérou.

Bien que moins importante que la Colombie, la Bolivie est un producteur nuturel de cocaïne -de fait, le tiers de la production mondiale en provient- car les plantations de coca y sont légales, formant partie de la culture ancestrale des anciennes populations quechuas. Son destin semblait de ce fait inévitable: suivre la route de beaucoup de nations latinoaméricaines et convivre avec le trafic de drogue, son argent et les morts que produisent cette fortune. "Aucun pays n'héberge le narcotrafic sans compromettre, tôt ou tard, son propre Etat avec ces intérêts. Et aucun Etat ne se nettoye facilement du narcotrafic une fois que celui-çi l'a perforé, parce qu'il n'y a pas suffisemment d'argent propre pour pouvoir atteindre la grandiose générosité de l'argent facile et illégal." [El Mercurio, 21.08.2008]

Bien que la chronique journalistique parlait souvent des crimes des cartels colombiens et mexicains, la Bolivie n'était pas exempte de ce fléau, bien qu'il y sembla beaucoup moins sanglant. Cependant, dans le cours de l'année, il y avait eu une vingtaine d'assassinats dans la capitale bolivienne et ses alentours, tous liés au trafic, selon les déclarations de la police. Les plus récentes avaient été deux citoyens colombiens tués dans un centre commercial et trois hommes d'affaires argentins troués de balles et abandonnés dans un terrain vague. Un de ces derniers avait fait un apport considérable à la campagne électorale du président l'année antérieure et approvisionnait de produits pharmaceutiques un service de l'Etat.

Un autre article était une transcription du Wall Street Journal sur ce qui se passait au Mexique. Mais ce qui se passait à la frontère des Etats-Unis n'intéressait plus Trompel. Ce qui l'intéressait, c'était ce qui se passait à la frontière entre la Bolivie et le Chili. Les commentaires de l'abbé Bochout avaient mis en marche quelques circuits de son cerveau et son intuition lui disait que tout cela pouvait être lié à la disparition de l'abbé Lefranc. Le comissaire Figueroa lui avait dit que les ´sequestres étaient peu courants au Chili. Mais ils l'étaient en Colombie et au Mexique, où le narcotrafic dominait tout. Lefranc avait-il eu quelque chose à voir avec les trafiquants du Chili? Il éteignit la lumière et s'endormit.

17/11/2009

L'héritage 5.1.

Chapitre 5

L'avion pour La Paz devait partir de Santiago à 8h15 et la compagnie chilienne LASCO avait cité ses passagers pour 6h15 à l'aéroport. Jef Trompel trouva cette anticipation exagérée et l'attribua au traditionnel manque de ponctualité des chiliens. Il commanda donc un taxi pour 6h15 et arriva une demi-heure plus tard à Pudahuel, alors que l'aube commançait à teignir de rouge les sommets des Andes. Après avoir fait la file durant une quizaine de minutes au comptoir de la ligne aérienne, il voulut se diriger vers le contrôle d'émigration sans attendre l'appel des haut-parleurs. Mais il découvrit alors que la queue pour passer ce contrôle traversait tout le hall. Quatre vols devaient partir avant 8 heures et il n'y avait que deux policiers pour vérifier les passeports! Un quart d'heure plus tard, la file se mit à avancer rapidement, six autres douanniers ayant pris leur service. Mais le mal était fait: le retard des premiers vols de la journée bloquait celui des autres, et son avion partit avec une heure de retard. Il était midi lors de l'escale d'Arica, la ville la plus nortine du Chili, à la frontière péruvienne. Après trente minutes à terre et une autre demi-heure de vol, le capitaine annonça la descente vers l'aéroport de La Paz. Installé près d'une lunette, du côté gauche de l'avion, le détective put contempler le lac Titicaca, souvent signalé comme le plus haut du monde. Entre quelques nuages épars, on distinguait parfaitement ses îles naturelles et artificielles, celles-ci faites de joncs flottant en grande quantité sur les eaux bleues. Bien que l'avion descendait, Trompel ne put distinguer si elles était habitées car l'avion virait rapidement pendant sa descente. Quelques minutes plus tard, il aterrissait à El Alto, le terminus aérien construit sur le plateau qui domine la capitale bolivienne.

Lorsqu'il se présenta au contrôle des passeports, on lui demanda son certificat de vaccination. Il n'en avait aucun et expliqua que personne ne l'avait averti de sa nécessité: il y avait vingt ans qu'on ne le demandait plus pour l'Amérique Latine. On le fit alors passer à un petit bureau latéral. Il lui sembla que personne d'autre n'avait été interpelé par manque de vaccination. Tout le monde l'aurait? Ou s'agissait-il plutôt qu'il était le seul "gringo" dans ce vol? Le mettrait-on en quarantaine ou le renverrait-on au Chili?

Unagent arriva enfin et, face à sa demande d'explication, lui répondit que, dans la forêt orientale, il y avait des risques de fièvre jaune et de malaria et lui demanda s'il contait aller là-bas. Il le nia, disant qu'il comptait rester à La Paz. On lui demanda alors dix dollars et on lui donna un certificat de vaccination contre la fièvre jaune. Mais on ne le vaccina pas et on n'exigea pas de quarantaine. Il comprit alors parfaitement qu'il s'agissait simplement de l'exigence d'un pot-de-vin.

Pour récupérer sa valise, il dut aller au dépôt vu que les courroies transportant les bagages ne fonctionnaient plus. Et il dut la chercher entre des dizaines de valises, peut-être perdues ou destinnées à être embarquées dans d'autres vols. Finalement, il la trouva et s'en fut vers la sortie, où il se vit obligé à prendre un taxi car les bus pour La Paz avaient aussi disparu avec les derniers passagers arrivés.

Le conducteur lui expliqua qu'ils devraient prendre une route inhabituelle, pour éviter le village de El Alto qui avait été pris d'assault par la narcoguérilla du Sentier du Soleil. Ils avaient détruit une partie du commissariat de police avec une fusée loew, avaient occupé la maison communale et avaient lynché le bourgmestre. Celui qui commandait là maintenant était le commandant Tupac Inti.

Après plus d'une demi-heure par des routes empierrées, ils arrivèrent enfin à la route asphaltée qui descendait dans l'étroite vallée où était construite la ville de La Paz, la capitale administrative du pays.

Le taxi laissa Trompel à l'hôtel International, dans la centrale avenue du 16 Juillet aussi appelée Paseo El Prado. Là, il avait réservé une chambre par Internet. Mais on lui dit qu'il n'y avait pas trace de cette réserve et que l'hôtel était complet. Bien qu'il passa un autre billet de dix dollars au réceptionniste, celui-çi ne trouva aucune chambre disponible et lui recommenda l'hôtel Ballivian, dans la rue du mème nom. Bien qu'il n'était pas très loin, il dut prendre un autre taxi car, pour un étranger, à plus de quatre mil mètres d'altitude, il était impossible de monter une côte avec une valise, chose nécessaire pour arriver à cette rue. A La Paz, avec l'excepction de l'avenue principale, qui suivait le fond de la vallée, toutes les rues montent et descendent abruptement. Il dut alors attendre qu'un autre passager arrive à l'hôtel International, car tous les taxis ordinaires sont collectifs et évitent les passagers qui ne vont pas dans la direction demandée par le premier qui l'a abordé, plus encore s'ils sont chargés d'une valise.

Il arriva finalement au Ballivian où, une fois de plus, on lui dit que l'hôtel était complet, mais les dix dollars fuernt suffisants pour qu'on lui donne la clé d'une chambre. Vu la fatigue due à l'altitude et aux péripéties de son arrivée, il n'eut pas le courage de faire autre chose cet après-midi. Il mangea un sandwich au bar de l'hôtel et se coucha tôt.

10/11/2009

L'héritage 4.3.

Arrivant à huit heures du matin à l'aéroport Commodore Arturo Merino Benítez de Santiago, Trompel se fit conduire à l'hôtel San Cristobal, que le commissaire Servais lui avait suggéré parce que son assistant s'y était logé pour une enquête qui l'avait conduit à mener un prisonnier à Santiago [Voir "Artecal"]. De l'hôtel, il appela inmédiatement l'abbé Bochout par téléphone et lui explica sa mission. Le prêtre lui confirma qu'Antoine Lefranc l'avait averti de sa venue et l'invita à déjeûner à sa paroisse, pour pouvoir parler plus longuement. Il lui suggéra de prendre un taxi et de se faire conduire jusqu'au coin de l'avenue Santa Rosa avec l'avenue Comandante Riesle, un croisement qui était à cinq pâtés de maisons de la paroisse.
- Je vous attendrai à ce coin à une heure et demie -lui dit-il-. Personne ne vous amènerait à la paroisse car elle se trouve dans le quartier de La Legua, un des plus mal famés de Santiago, où aucun chauffeur de taxi n'entrerait jamais. Il ne convient pas plus que vous y entriez seul, parce qu'on vous agresserait. Avec moi, au contraire, vous ne courrerez aucun risque.

A l'heure convenue, Trompel descendit du taxi à l'entrée de La Legua et vit tout de suite l'abbé Bochout qui l'attendait et le salua. Tout en le conduisant vers la paroisse, le prêtre lui expliqua que le nom du quartier se devait à sa distance du centre de la ville: une lieue (4,8 km) au sud de la Grand-Place. En chemin, le détective put observer les ruelles étroites, transversales par rapport à l'avenue qu'ils suivaient, avec de petits monticules et de petites maisons de vives couleurs dont les façades semblaient faites de plaques de béton préfabriquées. Et aussi des groupes de jeunes réunis aux coins, qui le regardaient avec curiosité et airs de pas amis. L'abbé lui dit ainsi que celui-çi était un des endroits les plus dangereux du pays à cause de la quantité de drogues et d'armes qui circulaient entre ses habitants, surtout aux mains de mineurs d'âge. La Police Civile avait pu désarticuler d'importantes bandes rivales mais, au cours de la dernière année, de nouveaux groupes criminels s'étaient consolidés, formés de jeunes gens de 13 à 17 ans, membres des familles des narcotrafiquants emprisonnés. Selon la police, ces adolescents maniaient de vrais petits arsenaux de pistolets de 9mm et d'armes artisanales qu'ils cachaient dnas les maisons de leurs voisins, payés pour leur aide. Bien que la police faisait chaque mois une dizaine de descentes et une cinquantaine d'arrestations, le problème ne diminuait pas. La plupart des détenus étaient relâchés au bout de quelques jours parce que la quantité de drogue trouvée était minime ou parce que c'étaient des mineurs, non punibles. [Données du journal El Mercurio, 22-02-2009]

Arrivés à la maison paroissiale, ils abordèrent le thème du séquestre de Guy Lefranc. L'abbé Bochout exprima sa préoccupation mais n'y trouvait pas d'explication. Trompel le questionna au sujet du procès qui avait précipité le départ de son confrère, mais le prêtre raconta la même chose que lui avait dit son client à Bruxelles, sans pouvoir ajouter de détail utile.

Avec eux déjeûnait un jeune homme que le curé présenta comme un dirigeant de la jeunesse paroissiale. Celui-çi raconta qu'il était devenu un grand ami du père Guido -comme tous l'appellaient à Santiago- et que ce dernier lui avait commenté son goût pour l'archéologie. Ils avaient ainsi été ensemble à San Pedro de Atacama, visiter le musée du père Gustave Le Paige, un jésuite belge qui avait été le premier à faire des excavations dans le désert d'Atacama et de trouver là les restes d'une antique culture préhispanique.

Le père Guido lui avait aussi confié, peu avant son départ, qu'il comptait visiter Tiahuanaco, en Bolivie, et Machu Picchu, au Pérou, au début de son voyage de retour vers la Belgique. Ainsi, il avait dû prendre un vol pour La Paz, d'où il était facile d'aller à Tiahuanaco. De là, il pouvait aussi traverser le lac Titicaca et poursuivre vers Cuzco, Machu Picchu et ensuite Lima, ce qui pouvait être le trajet choisi.

Trompel demanda s'il y avait moyen de vérifier cela et l'abbé Bochout lui dit qu'il pouvait consulter l'agence de voyage qui avait son bureau au rez-de-chaussée de l'archevêché, à la rue Erasmo Escala, et qui était celle qui prêtait ce service à tous les prêtres étrangers.

Quand ils terminaient le repas, ils entendirent des coups de feu et le martèlement d'armes automatiques. Un autre jeune, fils de la cuisinnière, entra en courrant.

- Les tires (façon locale de désigner les détectives) attaquent Emergencia! Ils sont arrivés dans des blindés.
- Nous avons traversé le secteur d'Emergencia quand je vous ai ammené ici -expliqua le curé à Trompel-. C'est le secteur qui paraît le plus pauvre et où se cachent le plus de trafiquants. La police le ferme et le passe régulièrement au peigne fin pour arrêter les délinquants et confisquer les armes et la drogue. Mais la bataille est chaque fois plus violente. C'est pourquoi, depuis peu, la police n'entre plus ici qu'avec des véhicules blindés. Il vaudra mieux que vous partiez par l'autre extrémité: il serait impossible maintenant de retourner par où vous êtes venu.

Ainsi, l'abbé conduisit le détective belge du côté opposé du quartier et le laissa près de la fabrique de textile Sumar, d'où partaient des mini-bus vers le centre de Santiago. Il lui dit que le bus le mènerait jusqu'à l'Alameda, l'avenue centrale de Santiago, qu'il reconnaîtrait facilement. Il devrait en descendre juste après avoir croisé l'autoroute qui coupe la ville en deux, peu après être passé devant le palais de la Monnaie, siège de la présidence de la République. Il serait là à deux pas des bureaux de l'archevêché.

Après une demi-heure de trajet, Trompel trouva l'agence de voyage. Tout d'abord ils ne voulurent pas l'informer au sujet du voyage de l'abbé Lefranc mais il explica alors la raison de sa requête et leur signala que, s'ils refusaient de lui répondre, la police viendrait sans nul doute faire la même question, vu qu'il rencontrerait le lendemain un inspecteur de la police civile. Ils acceptèrent alors de lui confimer que le billet d'avion acheté par Lefranc couvrait la route Santiago, La Paz, Sao Paulo, Madrid et Bruxelles.

Le comissaire Servais avait donné à Trompel le nom et le téléphone du comissaire Figueroa, de la PDI de Santiago, avec qui il avait été en contact lors de l'affaire Artecal. De retour à l'hôtel vers quatre heures, Trompel demanda le numéro de téléphone de la PDI et, ensuite, le comissaire Figueroa. Celui-çi lui fixa rendez-vous pour le lendemain matin à neuf heures.

Peu avant neuf heures, le jour suivant, le belge prennait donc un taxi qui descendit le long de la rivière Mapocho jusqu'à l'ancienne gare du même nom d'où partaient, il y a quelques années, les trains vers l'Argentine, mais qui avait été transformée en centre culturel, comme lui expliqua le chauffeur. A peine terminée l'explication, ils s'arrêtaient devant le grand bâtiment du quartier général de la PDI, la police civile, à la rue du Général Mackenna.

Quand Trompel rencontra le comissaire Figueroa, celui-çi lui signala qu'il n'avait aucune relation avec le genre de délit que le belge lui relatait: son travail était de contrôler le patrimoine historique et de poursuivre les voleurs d'oeuvres d'art ou objets archéologiques, les falsificateurs et les trafiquants. Mais cela, en tous cas, lui permettait de vérifier si une personne déterminée avait quitté le pays et quand. Ainsi, il téléphona au bureau de contrôle des frontières et confirma que Guy Lefranc était bien parti à la date signalée par Trompel, avec pour destination La Paz. Il recommenda alors au belge, s'il allait à cette ville pour poursuivre ses recherches, qu'il contacte l'inspecteur Julio Cardoso, du Cinquième Département, la fiscalie interne de la police nationale bolivienne, avant de contacter tout autre organisme, car -suite au trafic de drogue- beaucoup de policiers étaient corrompus et donc peu fiables. Moins encore dans un cas comme celui-çi.

03/11/2009

L'héritage 4.2.

Antoine Lefranc lui raconta alors l'histoire de son fils. Il avait étudié au Séminaire pour l'Amérique Latine, à Louvain, et était parti au Chili trois ans auparavent, après avoir été ordonné prêtre. A Santiago, après quelques mois d'adaptation chez le père Bochout, il avait été destiné à la paroisse de San Gregorio, dans un quartier pauvre et mal famé, comme il on le faisait souvent avec les prêtres étrangers. Il semblait que l'archevêché comptait sur une bonne réception de la part des fidèles -ce qui était exact- et aussi qu'ils apporteraient des fonds de leur pays d'origine, pour y survivre et développer des oeuvres, ce qui n'était pas toujours le cas. Et il était très difficile aux prêtres de vivre avec ce que l'église locale pouvait leur payer. Théoriquement, leurs frais devaient être couverts par les apports des fidèles, mais c'était rarement le cas. Antoine dut envoyer plusieurs fois de l'argent à son fils pour qu'il puisse vivre de façon décente.

Il y a quelques mois, il avait été accusé de persécution sexuelle par la secrétaire paroissiale. Il avait été détenu pendant trois mois car il n'avait pas de quoi payer la caution pour être libéré provisoirement. Il fut immédiatement suspendu de ses fonctions sacerdotales par le cardinal. Le procès conclut avec sa libération et une déclaration d'innocence, la secrétaire étant accusée de faux témoignage. L'abbé Lefranc pourrait lui avoir à son tour fait un procès, mais il ne le fit pas, appliquant le principe chrétien du pardon. L'archevêché lui offrit une autre paroisse mais il refusa car, ayant accompli une période de trois ans de séjour, il vait droit à des vacances en Belgique et il avait confié par lettre à son père qu'il avait de bonnes raisons pour ne plus retourner au Chili, mais sans les lui préciser. Il pensait les lui expliquer personnellement à son retour.
C'était là toute l'histoire.

- Le séquestre pourrait-il être en relation avec cette accusation contre lui? -demanda Trompel.
- Je n'ai aucun motif de le croire. Mais je n'ai pas su ce qui pouvait avoir poussé la secrétaire à faire cette accusation.
- Peut-être y a-t'il eu une raison et, lorsque le juge eut absout votre fils, on passa à une autre phase pour le châtier pour quelque chose.
- C'est possible, surtout dans un quartier comme celui de sa paroisse, selon ce qu'il a pu me raconter dans ses lettres. Mais c'est ce que vous devrez découvrir en voyageant à Santiago.

Trompel ouvrit alors la photo jointe au courriel. Elle montrait un jeune homme qui tenait devant lui un journal. Le détective agrandit la photo et put lire le titre et la date: c'était le journal "El Mercurio" de deux jours auparavent.

- Vous savez d'où est ce journal?
- Non. Mais il doit être du Chili, je suppose.
- Ah oui. Il dit bien "Santiago de Chile". Cela pourrait être une piste. Mais ce qui est important, en tous cas, et c'est ans doute la raison de son envoi, c'est qu'il démontre que votre fils était vivant avant hier. Pouvez-vous me l'imprimer?
- Bien sûr. Je vous donnerai aussi d'autres photos de Guy, au cas où vous en auriez besoin pour interroger des témoins ou obtenir de l'aide au cours de votre voyage.
- J'allais vous le demander. Merci.
- Puis-je encore vous être utile pour autre chose?
- Je ne crois pas. Je pars demain pour Santiago et j'y serai après-demain. Il ne restera que deux jours du délai fixé par les séquestreurs. Je vous suggère d'être prêt à remplir leurs exigences si je n'obtiens pas de résultat en si peu de temps.
- Soyez sûr que je ferai le nécessaire. Mais s'il nous en fallait arriver là, je vous prierais de continuer vos rechjerches jusqu'à avoir des nouvelles de mon fils.
- Vous pouvez y compter! Je vous maintiendrai au courant de toutes mes actions.

Ils se séparèrent alors et Trompel partit faire sa valise pour partir le lendemain. Mais il prit aussi le temps d'ouvrir Internet et de chercher le journal "El Mercurio" sur la toile. Il trouva l'édition du jour et chercha celle de deux jours avant, vérifiant que c'était bien celle qui apparaissait sur la photo de Guy Lefranc: on n'avait donc pas tenté de fausser la situation.

Le voyage Paris-Santiago fut un vrai supplice. L'avion était complet et il n'y avait donc aucune possibilité d'occuper un siège extra. De plus, de nombreux passagers avaient dédaigné la limite de bagages autorisés en cabine et bien des paquets dépassaient des espaces sous les sièges. Etendre les jambes était donc une mission impossible. Le fauteuil "réclinable" se refusait à se déplacer plus de quinze degrés. Le voisin semblait vouloir passer la nuit à lire et n'étaignait pas sa veilleuse. Trompel décida donc d'extraire sa casquette de son sac de voyage et se la mit sur les yeux. Il se tourna d'un côté puis de l'autre. Se mit en chien de fusil. S'étira de nouveau. Bref, de demi-heure en demi-heure, il changea de position et la nuit finit par passer.