03/11/2009

L'héritage 4.2.

Antoine Lefranc lui raconta alors l'histoire de son fils. Il avait étudié au Séminaire pour l'Amérique Latine, à Louvain, et était parti au Chili trois ans auparavent, après avoir été ordonné prêtre. A Santiago, après quelques mois d'adaptation chez le père Bochout, il avait été destiné à la paroisse de San Gregorio, dans un quartier pauvre et mal famé, comme il on le faisait souvent avec les prêtres étrangers. Il semblait que l'archevêché comptait sur une bonne réception de la part des fidèles -ce qui était exact- et aussi qu'ils apporteraient des fonds de leur pays d'origine, pour y survivre et développer des oeuvres, ce qui n'était pas toujours le cas. Et il était très difficile aux prêtres de vivre avec ce que l'église locale pouvait leur payer. Théoriquement, leurs frais devaient être couverts par les apports des fidèles, mais c'était rarement le cas. Antoine dut envoyer plusieurs fois de l'argent à son fils pour qu'il puisse vivre de façon décente.

Il y a quelques mois, il avait été accusé de persécution sexuelle par la secrétaire paroissiale. Il avait été détenu pendant trois mois car il n'avait pas de quoi payer la caution pour être libéré provisoirement. Il fut immédiatement suspendu de ses fonctions sacerdotales par le cardinal. Le procès conclut avec sa libération et une déclaration d'innocence, la secrétaire étant accusée de faux témoignage. L'abbé Lefranc pourrait lui avoir à son tour fait un procès, mais il ne le fit pas, appliquant le principe chrétien du pardon. L'archevêché lui offrit une autre paroisse mais il refusa car, ayant accompli une période de trois ans de séjour, il vait droit à des vacances en Belgique et il avait confié par lettre à son père qu'il avait de bonnes raisons pour ne plus retourner au Chili, mais sans les lui préciser. Il pensait les lui expliquer personnellement à son retour.
C'était là toute l'histoire.

- Le séquestre pourrait-il être en relation avec cette accusation contre lui? -demanda Trompel.
- Je n'ai aucun motif de le croire. Mais je n'ai pas su ce qui pouvait avoir poussé la secrétaire à faire cette accusation.
- Peut-être y a-t'il eu une raison et, lorsque le juge eut absout votre fils, on passa à une autre phase pour le châtier pour quelque chose.
- C'est possible, surtout dans un quartier comme celui de sa paroisse, selon ce qu'il a pu me raconter dans ses lettres. Mais c'est ce que vous devrez découvrir en voyageant à Santiago.

Trompel ouvrit alors la photo jointe au courriel. Elle montrait un jeune homme qui tenait devant lui un journal. Le détective agrandit la photo et put lire le titre et la date: c'était le journal "El Mercurio" de deux jours auparavent.

- Vous savez d'où est ce journal?
- Non. Mais il doit être du Chili, je suppose.
- Ah oui. Il dit bien "Santiago de Chile". Cela pourrait être une piste. Mais ce qui est important, en tous cas, et c'est ans doute la raison de son envoi, c'est qu'il démontre que votre fils était vivant avant hier. Pouvez-vous me l'imprimer?
- Bien sûr. Je vous donnerai aussi d'autres photos de Guy, au cas où vous en auriez besoin pour interroger des témoins ou obtenir de l'aide au cours de votre voyage.
- J'allais vous le demander. Merci.
- Puis-je encore vous être utile pour autre chose?
- Je ne crois pas. Je pars demain pour Santiago et j'y serai après-demain. Il ne restera que deux jours du délai fixé par les séquestreurs. Je vous suggère d'être prêt à remplir leurs exigences si je n'obtiens pas de résultat en si peu de temps.
- Soyez sûr que je ferai le nécessaire. Mais s'il nous en fallait arriver là, je vous prierais de continuer vos rechjerches jusqu'à avoir des nouvelles de mon fils.
- Vous pouvez y compter! Je vous maintiendrai au courant de toutes mes actions.

Ils se séparèrent alors et Trompel partit faire sa valise pour partir le lendemain. Mais il prit aussi le temps d'ouvrir Internet et de chercher le journal "El Mercurio" sur la toile. Il trouva l'édition du jour et chercha celle de deux jours avant, vérifiant que c'était bien celle qui apparaissait sur la photo de Guy Lefranc: on n'avait donc pas tenté de fausser la situation.

Le voyage Paris-Santiago fut un vrai supplice. L'avion était complet et il n'y avait donc aucune possibilité d'occuper un siège extra. De plus, de nombreux passagers avaient dédaigné la limite de bagages autorisés en cabine et bien des paquets dépassaient des espaces sous les sièges. Etendre les jambes était donc une mission impossible. Le fauteuil "réclinable" se refusait à se déplacer plus de quinze degrés. Le voisin semblait vouloir passer la nuit à lire et n'étaignait pas sa veilleuse. Trompel décida donc d'extraire sa casquette de son sac de voyage et se la mit sur les yeux. Il se tourna d'un côté puis de l'autre. Se mit en chien de fusil. S'étira de nouveau. Bref, de demi-heure en demi-heure, il changea de position et la nuit finit par passer.