10/11/2009

L'héritage 4.3.

Arrivant à huit heures du matin à l'aéroport Commodore Arturo Merino Benítez de Santiago, Trompel se fit conduire à l'hôtel San Cristobal, que le commissaire Servais lui avait suggéré parce que son assistant s'y était logé pour une enquête qui l'avait conduit à mener un prisonnier à Santiago [Voir "Artecal"]. De l'hôtel, il appela inmédiatement l'abbé Bochout par téléphone et lui explica sa mission. Le prêtre lui confirma qu'Antoine Lefranc l'avait averti de sa venue et l'invita à déjeûner à sa paroisse, pour pouvoir parler plus longuement. Il lui suggéra de prendre un taxi et de se faire conduire jusqu'au coin de l'avenue Santa Rosa avec l'avenue Comandante Riesle, un croisement qui était à cinq pâtés de maisons de la paroisse.
- Je vous attendrai à ce coin à une heure et demie -lui dit-il-. Personne ne vous amènerait à la paroisse car elle se trouve dans le quartier de La Legua, un des plus mal famés de Santiago, où aucun chauffeur de taxi n'entrerait jamais. Il ne convient pas plus que vous y entriez seul, parce qu'on vous agresserait. Avec moi, au contraire, vous ne courrerez aucun risque.

A l'heure convenue, Trompel descendit du taxi à l'entrée de La Legua et vit tout de suite l'abbé Bochout qui l'attendait et le salua. Tout en le conduisant vers la paroisse, le prêtre lui expliqua que le nom du quartier se devait à sa distance du centre de la ville: une lieue (4,8 km) au sud de la Grand-Place. En chemin, le détective put observer les ruelles étroites, transversales par rapport à l'avenue qu'ils suivaient, avec de petits monticules et de petites maisons de vives couleurs dont les façades semblaient faites de plaques de béton préfabriquées. Et aussi des groupes de jeunes réunis aux coins, qui le regardaient avec curiosité et airs de pas amis. L'abbé lui dit ainsi que celui-çi était un des endroits les plus dangereux du pays à cause de la quantité de drogues et d'armes qui circulaient entre ses habitants, surtout aux mains de mineurs d'âge. La Police Civile avait pu désarticuler d'importantes bandes rivales mais, au cours de la dernière année, de nouveaux groupes criminels s'étaient consolidés, formés de jeunes gens de 13 à 17 ans, membres des familles des narcotrafiquants emprisonnés. Selon la police, ces adolescents maniaient de vrais petits arsenaux de pistolets de 9mm et d'armes artisanales qu'ils cachaient dnas les maisons de leurs voisins, payés pour leur aide. Bien que la police faisait chaque mois une dizaine de descentes et une cinquantaine d'arrestations, le problème ne diminuait pas. La plupart des détenus étaient relâchés au bout de quelques jours parce que la quantité de drogue trouvée était minime ou parce que c'étaient des mineurs, non punibles. [Données du journal El Mercurio, 22-02-2009]

Arrivés à la maison paroissiale, ils abordèrent le thème du séquestre de Guy Lefranc. L'abbé Bochout exprima sa préoccupation mais n'y trouvait pas d'explication. Trompel le questionna au sujet du procès qui avait précipité le départ de son confrère, mais le prêtre raconta la même chose que lui avait dit son client à Bruxelles, sans pouvoir ajouter de détail utile.

Avec eux déjeûnait un jeune homme que le curé présenta comme un dirigeant de la jeunesse paroissiale. Celui-çi raconta qu'il était devenu un grand ami du père Guido -comme tous l'appellaient à Santiago- et que ce dernier lui avait commenté son goût pour l'archéologie. Ils avaient ainsi été ensemble à San Pedro de Atacama, visiter le musée du père Gustave Le Paige, un jésuite belge qui avait été le premier à faire des excavations dans le désert d'Atacama et de trouver là les restes d'une antique culture préhispanique.

Le père Guido lui avait aussi confié, peu avant son départ, qu'il comptait visiter Tiahuanaco, en Bolivie, et Machu Picchu, au Pérou, au début de son voyage de retour vers la Belgique. Ainsi, il avait dû prendre un vol pour La Paz, d'où il était facile d'aller à Tiahuanaco. De là, il pouvait aussi traverser le lac Titicaca et poursuivre vers Cuzco, Machu Picchu et ensuite Lima, ce qui pouvait être le trajet choisi.

Trompel demanda s'il y avait moyen de vérifier cela et l'abbé Bochout lui dit qu'il pouvait consulter l'agence de voyage qui avait son bureau au rez-de-chaussée de l'archevêché, à la rue Erasmo Escala, et qui était celle qui prêtait ce service à tous les prêtres étrangers.

Quand ils terminaient le repas, ils entendirent des coups de feu et le martèlement d'armes automatiques. Un autre jeune, fils de la cuisinnière, entra en courrant.

- Les tires (façon locale de désigner les détectives) attaquent Emergencia! Ils sont arrivés dans des blindés.
- Nous avons traversé le secteur d'Emergencia quand je vous ai ammené ici -expliqua le curé à Trompel-. C'est le secteur qui paraît le plus pauvre et où se cachent le plus de trafiquants. La police le ferme et le passe régulièrement au peigne fin pour arrêter les délinquants et confisquer les armes et la drogue. Mais la bataille est chaque fois plus violente. C'est pourquoi, depuis peu, la police n'entre plus ici qu'avec des véhicules blindés. Il vaudra mieux que vous partiez par l'autre extrémité: il serait impossible maintenant de retourner par où vous êtes venu.

Ainsi, l'abbé conduisit le détective belge du côté opposé du quartier et le laissa près de la fabrique de textile Sumar, d'où partaient des mini-bus vers le centre de Santiago. Il lui dit que le bus le mènerait jusqu'à l'Alameda, l'avenue centrale de Santiago, qu'il reconnaîtrait facilement. Il devrait en descendre juste après avoir croisé l'autoroute qui coupe la ville en deux, peu après être passé devant le palais de la Monnaie, siège de la présidence de la République. Il serait là à deux pas des bureaux de l'archevêché.

Après une demi-heure de trajet, Trompel trouva l'agence de voyage. Tout d'abord ils ne voulurent pas l'informer au sujet du voyage de l'abbé Lefranc mais il explica alors la raison de sa requête et leur signala que, s'ils refusaient de lui répondre, la police viendrait sans nul doute faire la même question, vu qu'il rencontrerait le lendemain un inspecteur de la police civile. Ils acceptèrent alors de lui confimer que le billet d'avion acheté par Lefranc couvrait la route Santiago, La Paz, Sao Paulo, Madrid et Bruxelles.

Le comissaire Servais avait donné à Trompel le nom et le téléphone du comissaire Figueroa, de la PDI de Santiago, avec qui il avait été en contact lors de l'affaire Artecal. De retour à l'hôtel vers quatre heures, Trompel demanda le numéro de téléphone de la PDI et, ensuite, le comissaire Figueroa. Celui-çi lui fixa rendez-vous pour le lendemain matin à neuf heures.

Peu avant neuf heures, le jour suivant, le belge prennait donc un taxi qui descendit le long de la rivière Mapocho jusqu'à l'ancienne gare du même nom d'où partaient, il y a quelques années, les trains vers l'Argentine, mais qui avait été transformée en centre culturel, comme lui expliqua le chauffeur. A peine terminée l'explication, ils s'arrêtaient devant le grand bâtiment du quartier général de la PDI, la police civile, à la rue du Général Mackenna.

Quand Trompel rencontra le comissaire Figueroa, celui-çi lui signala qu'il n'avait aucune relation avec le genre de délit que le belge lui relatait: son travail était de contrôler le patrimoine historique et de poursuivre les voleurs d'oeuvres d'art ou objets archéologiques, les falsificateurs et les trafiquants. Mais cela, en tous cas, lui permettait de vérifier si une personne déterminée avait quitté le pays et quand. Ainsi, il téléphona au bureau de contrôle des frontières et confirma que Guy Lefranc était bien parti à la date signalée par Trompel, avec pour destination La Paz. Il recommenda alors au belge, s'il allait à cette ville pour poursuivre ses recherches, qu'il contacte l'inspecteur Julio Cardoso, du Cinquième Département, la fiscalie interne de la police nationale bolivienne, avant de contacter tout autre organisme, car -suite au trafic de drogue- beaucoup de policiers étaient corrompus et donc peu fiables. Moins encore dans un cas comme celui-çi.