Quand la nuit tomba, un autre homme s'approcha de la grille. Celui-çi portait un uniforme, mais el détective ne put savoir s'il était policier ou militaire.- Alors, voici le gringo qui veut offrir une rançon pour le curé beau-parleur. Salut, petit gringo! Tu apportes de l'argent? Maintenant, c'est toi qui en auras besoin, si tu veux sortir d'ici. Et si on te le permet.
Trompel dut passer la nuit couché sur le sol, sans avoir mangé et tremblant de froid. Au matin, on lui lança un morceau de pain et on lui mit un verre d'eau par terre. Pour ses besoins, il découvrit un trou dans un coin. L'odeur qui en sortait lui en confirma l'usuage.
Pour passer son temps, il se rappela une fois de plus tout ce qu'il avait fait depuis l'appel de Lefranc. On ne lui donna pas à manger et personne ne parla plus avec lui durant toute la journée. Le soir venu, on lui lança de nouveau un morceau de pain et on lui mit un verre d'eau.
Il était près de minuit lorsqu'il entendit des cris et le martèlement d'armes automatiques au dehors de sa prison, suivis d'autres cris et de courses dans le bâtiment. Il semblait qu'il y avait un combat furieux. Le bruit se prolongea plus d'une demi-heure. Puis le silence revint enfin. Un peu plus tard, il entendit des pas qui se rapprochaient, dans le couloir des cellules. Quand ils s'arrêtèrent devant sa grille, un militaire en tenue de camouflage lui demanda qui il était. Il lui donna son nom et sa nationalité, expliquant qu'il avait été séquestré à La Paz.
- Ayez un peu de patience -lui dit-on-, nous allons le confirmer. Si tout est correct, vous pourrez sortir d'ici dans moins de deux heures.- Que c'est-il passé? -demanda-t'il. Mais on ne lui répondit pas. Le militaire était parté et parlait avec un autre détenu.
Deux heures plus tard, on le faisait sortir de la prison et une jeep militaire l'emmenait à son hôtel. En sortant, un officier lui présenta les excuses des autorités et lui expliqua que l'armée vait repris d'assaut le village et abattu la plupart des rebelles. Il demanda si l'on avait trouvé Tupac Inti.- Nous ne savons pas qui c'est. Ce n'est pas son vrai nom. Le plus probable est qu'il n'ait pas été ici. Il glisse mieux qu'un poisson.- lui répondit le militaire.
Dans les rues d'El Alto, il vit de nombreux morts et des maisons en flammes. Mais à La Paz, tout était tranquille. Après avoir pris une douche, il passa enfin une nuit réparatrice dans un vrai lit et ne sut rien des bruits des autres chambres. Le matin suivant, il se dirigea au bureau de l'inspecteur Cardoso et lui raconta ce qui lui était arrivé.
- J'ai été mis au courant de votre séquestre -lui dit celui-çi-. Nous avons un de nos hommes infiltré dans la police d'El Alto pliée au mouvement guerrillero et il m'a averti. Il entendit ce que le sous-préfet vous a dit et aussi qu'il se vantait, devant ses compagnons, d'avoir liquidé "le curé gringo qui avait été un informant de la police chilienne" pour venger ses compagnons de Santiago qui avaient été arrêtés. Cet homme est maintenant dans notre prison ici et nous le cuisinons. Il lui faudra nous dire aussi comment il a su de votre arrivée et comment il a organisé le séquestre. Et ses complices seront arrêtés. Avec de la chance, nous découvrirons ses liens avec les trafiquants et ses éventuels contacts avec la police chilienne.
- Je me demande comment ils ont pu me connaître et être au courant de ma relation avec Lefranc. Vous croyez que des policiers chiliens peuvent être impliqués? Là-bas, ils m'ont dit que la corruption policière était extrêmement rare.
- Ils se sont probablement informés ici, peut-être en interceptant vos communications téléphoniques. Ne vous en faites pas: tôt ou tard, je le saurai et vous nettoyerons le service de ces mauvais éléments. Mais, comme vous vous en êtes rendu compte, je ne peux me rendre responsable de votre sécurité. Il vaudra mieux que vous quittiez le pays au plus tôt. Que faisons-nous avec le corps de l'abbé Lefranc?
- J'ai parlé avec son père et il était très affecté. Il me demanda quelques heures pour y penser, mais je n'ai pas eu l'occasion de l'appeler de nouveau.
- Voulez-vous le faire d'ici? Sera-ce une heure adéquate en Belgique?- Ce serait parfait. Là-bas, il doit être trois heures de l'après-midi. Antoine Lefranc doit être à son bureau.
Trompel dicta le numéro et Cardoso lui passa le combiné. Il y eut un bref dialogue, Trompel s'excusant d'abord pour son retard "du à des raisons indépendantes de sa volonté" -il ne voulut pas entrer dans les détails pour ne pas créer plus de confusion à son client- et, finalement, il rendit l'appareil au policier bolivien.
- Il m'a dit de faire la crémation et d'envoyer ses cendres à Bruxelles. Et il m'a autorisé à payer ce qui soit nécessaire.
- Je cois pouvoir obtenir qu'on le fasse aujourd'hui même. Ainsi, vous pourriez emporter ses cendres si vous partez demain. Je vous enverrai l'urne et le permis de sortie à votre hôtel. N'en sortez plus. Personne n'osera vous attaquer à l'intérieur. Et demain matin, une auto-patrouille vous mènera à l'aéroport. De quelle compagnie est votre billet?
- De LACSO.
- D'accord. Je m'assurerai aussi qu'on vous embarque même si le vol est complet. Et je vous prie de nous excuser pour cette mauvaise expérience. J'espère que vous pourrez revenir dans de meilleures circonstances!
- Je ne peux pas dire que la perspective soit agréable. L'altitude, de plus, ne facilite pas le tourisme.
- C'est vrai. Mais vous ètes jeune et si vous n'êtes pas malade du coeur, vous vous aclimateriez très rapidement. Enfin, il est clair que ce n'est pas le moment! Bon voyage de retour, et je regrette une fois de plus ce qui s'est passé! Assurez monsieur Lefranc que l'assassin de son fils recevra la peine la plus dure. Maintenant, un de mes hommes va vous reconduire à votre hôtel et le même vous conduira à l'aéroport demain. Ne vous fiez de personne d'autre!
- Merci pour tout et au revoir!
Une voiture-patrouille conduisit Trompel de retour à l'hôtel. Sans rien à faire, il prit les journaux du jour et se mit à lire le long reportage sur les événements de la nuit antérieure. Il sut ainsi que les unités de l'armée qui avaient attaqué El Alto étaient composées exclusivement d'aymaras, traditionnellement en lutte avec les quichuas auxqueles appartenaient les guerrileros. Cela avait évité que ceux qui controlaient le village soient mis aucourant de l'action militaire et avait permis de les surprendre et de pénétrer rapidements leurs défenses. Les quichuas étaient les descendants des incas alors que les aymaras étaient une population beaucoup plus ancienne qui avait été asservie par les incas et cultivait toujours leur ressentiment contre les dominateurs, tout comme les quichuas le cultivaient contre les descendants des espagnols.
La narco-guérilla était constituée en majorité de quichuas qui voulaient reconstituer l'ancien empire inca des sommets des Andes. Le Sentier du Soleil bolivien avait des liens étroits avec la Sentier Lumineux maoïste du Pérou et celui-çi, à son tour, avec les FARC de Colombie, tous se finançant grâce au trafic de drogue basé sur la culture de la feuille de coca, une tradition indigène immémoriale pour son usage médicinal et religieux sous forme d'infusion ou de feuille mâchée. Mais quelqu'un avait découvert un moyen chimique pour en extraire son principe actif et en multiplier l'effet, avec des conséquences désastreuses pour la santé et la formation d'un commerce tout aussi lucratif qu'illégal.