26/05/2009

Les yeux d'Horus 5.4.

Il y avait six personnes que le nouvel initié ne connaissait pas ou avait vu seulement sur des photos de presse, et qui cachaient sans doute leur passion pour l'Egypte. Il salua tout le monde et les inconnus se présentèrent. Il y avait là Jack Doorman, le millardaire propriétaire d'une importante multinationale d'informatique, Kurt Kaufman, un entrepreneur allemand et collectionneur d'art, Ali Al Kabir, un cheik arabe propriétaire de nombreux puits de pétrole, Piet Vermeer, un diamantaire de la ville du Cap, Oscar Véliz, un commerçant mexicain expert en Mayas, et Jane Wilson, une avocate d'un fameux buffet newyorkais, la seule femme du groupe. Un dernier invité ne donna que son nom, sans parler de sa fonction: Vladimir Yerkov. Sans doute un russe nouveau riche qui désirait garder à tout prix son anonymat et sa spécialité.

Quand il commencèrent à manger, le duc se dirigea à Kaminsky:
- Pourquoi avez-vous posé des questions sur Robertson et Armentini hier soir, docteur?
- En partant de Bruxelles, j'ai appris par la presse la mort de Robertson, noyé dans un étang à l'est de cette ville. La police doutait d'un suicide vu le manque de profondeur de l'eau. Et quelques jours après, j'ai appris l'assassinat d'Armentini, le conservateur du musée égyptien de Turin. Robertson avait assisté à notre congrès; Armentini n'y était pas allé, mais on a volé de son bureau un papyrus avec le Livre des Morts. Dans les deux cas il y avait donc un lien avec ce qui nous intéresse. Et je savais aussi que les Yeux d'Horus avaient été retirés de plusieurs musées. Tout semblait donc indiquer qu'il se préparait un événement spécial et assez réservé et aussi que des tueurs étaient en route et pouvaient y être liés.
- Et vous pensiez donc à une conspiration de notre part?
- C'était une possibilité. Evidemment celle qui me plaisait le moins. Mais je ne pouvais l'écarter a priori.
- Avec le peu que vous saviez, vous pouviez avoir raison. Mais je dois vous dire, tout comme hier, que nous n'avons rien à voir avec ces crimes. Il en est plus: Robertson était l'un des nôtres. Si vous êtes ici, c'est justement parce que notre groupe vous a choisi pour le remplacer. Quant aux Yeux d'Horus, c'est vrai que nous les avons obtenus, en prêt, de plusieurs musées. Parce que nous formons la Société de l'Oeil d'Horus et ce symbole est important dans nos cérémonies lesquelles, d'autre part, ne sont pas fréquentes. Comme vous pouvez voir, ceux qui sont chargés par leur fonction de garder ces reliques sont présents ici et assureront leur restitution. Nous ne prétendons réaliser aucun acte illégal. Nous sommes de fidèles serviteurs de Maât.
- Alors, vous n'êtes pas non plus responsables de la disparition de l'Oeil d'Horus du Musée d'Histoire de Bruxelles?
- On a retiré un Oeil de ce musée?
- A ce qu'il semble, le même jour où Robertson a été tué.
- Quelqu'un a dû tenter d'obtenir l'amulette de Robertson. En ne le trouvant pas, il doit avoir eu recours au musée. Vous pouvez avoir raison en ce qui concerne l'existence d'une conspiration. Mais pas de notre part, sinon contre nous. Vous devez savoir que ne manquent pas d'ennemi les sociétés comme la nôtre, en particulier lorsqu'elles pratiquent d'anciennes religions. Beaucoup croient que nous sommes polythéistes quand, en réalité, la religion égyptienne est profondément monothéiste mais, comme vous le savez, elle utilise les mythes et le polymorphisme comme moyen pour enseigner tous les aspects de Dieu et les valeurs qu'Il représente.

Kaminsky pensa alors à Trompel. Le détective devrait réorienter son enquête ou bien, mieux encore, la laisser à la police. Pourvu qu'il ne trouve pas le moyen de s'infilter ce jour, ou cette nuit, dans la forteresse! Il n'y avait aucune raison pour cela, mais il n'y avait pas moyen de l'avertir.

- Vous avez des soupçons plus concrets au sujet de cette conspiration? -demanda-t'il.
- Nous savons qu'une branche de la maffia napolitaine, appelée Il Secolo Nosso, pourrait s'intéreser à la religion égyptienne -répondit le conservateur de Milan-. Il y a déjà quelque temps qu'ils achètent ou volent des objets sacrés de tous les peuples qui ont calculé ou prophétisé un changement d'ère zodiacale pour cette année, comme les mayas, les hopis et les égyptiens. Ils croient probablement que ce changement sera marqué par de grandes catastrophes, en particulier par le feu, en contreposition avec le changement antérieur, qui fut marqué par le déluge universel. Et ils doivent croire qu'en célébrant les rites de ces peuples ils pourront se protéger de la destruction et arriver à être les maîtres d'une nouvelle civilisation. Mais personne ne sait qui en sont les chefs et nous n'avons su cela que par des pistes indirectes et par des faits relatés dans la presse. Sans doute ces délinquants sont-ils responsables des vols et des crimes que vous nous signalez.

Le repas se poursuivit, accompagné de conversations légères entre les assistants. Quand ils terminèrent, le duc s'approcha de nouveau du nouvel arrivé et l'invita à faire le tour du propriétaire. Il lui indiqua qu'il pouvait désormais circuler librement par les zones communes mais qu'il ne pouvait pas sortir sans être accompagné. Il lui explica aussi qu'il trouverait dans le livre qui était dans sa chambre quelques explications au sujet de la Société de l'Oeil d'Horus, son origine et sa finalité. La visite terminée, il lui recommenda de lire ce texte avant le déjeuner, lequel aurait lieu à douze heures trente.

L'égyptologue rentra alors à sa chambre et, comme le lui avait recommendé le duc, chercha les pages consacrées à la Société, qu'il n'avait pas lues la veille. Il sut alors que cette société avait été fondée avant le déluge universel, vers 10.940AC, en ce qui fut l'Atlantide. Ce nom unissait deux racines égyptiennes: l'une signifiait eau et l'autre division ou séparation. Ensemble: "séparée par les eaux". Comme l'avait écrit Platon longtemps après, à partir du récit d'un prêtre égyptien qui appartenait à cette Société, la capitale de l'Atlantide était une ville formée par plusieurs aires concentriques séparées par d'amples canaux. Les prêtres qui formèrent la Société de l'Oeil furent les survivants de la catastrophe qui détruisit Atlantis et qui transmirent leur savoir aux habitants d'Egypte, ce qui fut la base du rapide développement de la civilisation dans cette région. De fait, l'hypothèse de l'existence d'une haute civilisation antérieure au déluge est la seule qui puisse expliquer comment a pu surgir de façon aussi abrupte l'architecture égyptienne, si parfaite, sans qu'il y ait la moindre trace d'une évolution à partir de constructions plus primitives. La Société de l'Oeil se transforma alors en élite, non seulement religieuse, mais aussi sicentifique. C'est elle qui forma les premiers artisans et qui révéla la situation des mines, celle qui avait enseigné le secret de la construction, comme l'espèce de béton utilisé pour mouler les énormes pierres qui formaient les pyramides, les fondations de quelques temples et quelques grandes statues comme les colosses de Mnemnon [démontré récemment par des études chimiques]. C'était aussi celle qui éduquait le pharaon et, après son ascension au trône, conservait le vrai pouvoir, "ombre derrière le trône", sauf dans les périodes obscures où des usurpateurs avaient assumé la dignité suprême.

De tout cela, Kaminsky déduisit que la Société à laquelle il appartenait maintenant ne pouvait être uniquement religieuse et dédiée à un culte antédiluvien. Elle était la gardienne de divers secrets scientifiques et technologiques révélés dans la plus grande antiquité, mais qui n'apparaissaient pas dans le livre. Et elle devrait aussi être une promotrice de la science. Dès lors, il ne s'expliquait pas pourquoi le duc s'opposait à la téléphonie mobile et à l'installation de connexions à Internet. Et semblait difficulter l'installation de professionnels universitaires dans la ville. Il se promit de tenter d'aborder ce sujet avec lui. S'il lui avait conseillé de lire le livre, ce devait être, sans doute, pour s'éviter en partie de devoir lui conter les éléments de base et l'inviter à préparer des questions pour une conversation plus transcendente. Il lui en donnerait peut-être l'occasion plus tard, avant la grande célébration ou après elle, le jour suivant.