Maintenant, Trompel devait aller déjeûner (ou dîner, comme en dit en Belgique) au restaurant de l'hôtel Lambermont, selon l'invitation reçue par l'entremise du délégué de la cellule du PNI de Bruxelles, pour rencontrer le président du parti et parler de stratégie publicitaire. A la table où il fut conduit, il trouva Martin Daems, accompagné de la députée Paula Darbée et -ce qui le surprit davantage- de Julien Durand, le président de la Banque Lambermont et propriétaire de l'hôtel du même nom. Son délégué de cellule n'était pas là. Après les présentations et une conversation intranscendente pendant qu'il prenaient un apéritif, Daems décida d'entrer dans le sujet de fond.
- Monsieur Trompel, j'ai suivi vos articles dans La Dernière Heure et je suis fort satisfait de vos commentaires favorables mais pondérés. Je suis sûr que votre éthique professionnelle vous empêche d'être plus chaleureux, mais le délégué de votre groupe m'a assuré que vous avez démontré un grand compromis avec les principes de base de notre parti, et j'en suis très heureux. Il m'a aussi dit que vous étiez disposé à nous donner quelques conseils pour le développement de notre stratégie de propagande. Nous avons engagé une agence de publicité, mais j'ai bien peur que la politique ne l'intéresse pas beaucoup et que, de ce fait, elle ne comprend pas trop ni la scène spécifique ni ce que nous désirons, chose que vous connaissez fort bien. En conséquence, nous aimerions savoir jusqu'à quel point vous seriez disposé à collaborer avec nous. Et je vous demanderais ensuite quelques orientations initiales.
- Monsieur Daems, vous avez bien été informé de mon intérêt et, comme je l'ai signalé dans les réunions, il me semble que le parti manque d'une meilleure compréhension de la façon dont fonctionnent les média et comment l'on peut orienter l'opinion publique. Une chose est faire de la publicité, mais il en est une autre d'essayer de se gagner et d'orienter l'opinion, tout spécialement à partir d'une position débile comme celle d'un parti minoritaire.
- Mais on pourrait estimer que presque tous les partis belges sont essentiellement minoritaires -objecta Durand.
- En effet. Mais souvenez-vous qu'ils ont pour la plupart une longue histoire, étant héritiers -en majorité- de grands partis qui ont agi pendant plus de cinquante ans. Pour cela, plusieurs d'entr'eux ont hérité d'une partie des électeurs par simple tradition alors que d'autres ont adopté des positions auparavent inexprimées mais aussi ancrées dans des affaires du passé, comme les différences lingüistiques. Pour les partis avec de nouvelles idées, comme le nôtre, ils est très difficile de leur faire la concurrence et une stratégie non traditionnelle en politique est indispensable.
- Je peux vous confirmer par expérience qu'il est très difficile de se faire entendre -concorda Paula Darbée-. Vous ne savez pas ce qu'il m'en coûte de me faire écouter à la Chambre.
- Je crois que nous sommes d'accord là-dessus. Et c'est pourquoi votre assistance nous intéresse. Comment pouvons-nous nous l'assurer? Voilà la première question que je voudrais que vous me répondiez. Pouvons-nous vous engager dans notre équipe administrative? Dans quelles conditions?
- Je ne voudrais pas renoncer à mon travail actuel -répondit d'abord Trompel, qui avait clairement ses objectifs propres-. Je ne doute pas que ce que je fais à La Dernière Heure vous convient et l'abandonner pourrait vous causer préjudice. Vous avez maintenent un allié dans la presse et, si vous n'en avez pas d'autre, cela est fondamental. Il serait bon d'en avoir un aussi en télévision, mais vous connaissez sûrement la loi: le personnel de presse de la RTB s'engage d'accord avec la quantité de votes obtenu par chaque parti, et vous ne pourrez donc en avoir un que lorsque vous obtiendrez une meilleure représentation électorale. Pour ma part, donc, je ne peux vous offrir qu'un temps très réduit. Je peux vous donner des conseils; je peux vous communiquer mon opinion sur votre campagne publicitaire. Peut-être aussi assister aux réunions de la cellule où l'on discutera plus directement comment transformer les principes et objectifs du parti en actions de propagande. Mais cela serait tout. Si vous désirez me payer pour cela, je vous en serai reconnaissant mais, si cela n'interfère pas avec mon horaire normal de travail, cela ne me semble pas fondamental.
- Cela est très clair pour nous, monsieur Trompel -répondit Durand-. Nous vous inviterons à nos réunions de planification quand elles traiteront d'actions publiques. Et nous vous soumettrons les plans que prépare notre agence de publicité pour les évaluer et les corriger. Pour ces travaux spécifiques, qui vous prendront du temps hors des réunions, nous vous payerons. Qu'en pensez-vous?
- Je suis d'accord.
- Maintenant, monsieur Trompel -continua Daems-, en vue de ce que nous avons fait jusqu'à présent et de vos observations au sujet de l'action sur l'opinion, pourriez-vous nous donner un conseil pour formuler une ligne de conduite générale?
- Bien sûr. Avant tout, dans notre cas, il faut considérer la nécessité d'une forte présence dans les média. Pour cela, la publicité est totalement secondaire. Ce qui est fondamental, c'est d'être présent dans les nouvelles et de susciter une discussion publique et, évidemment, attirer les adhésions. Cela ne s'obtient pas avec des insertions payantes: cela s'obtient en créant des faits qui attirent l'attention. Votre essai avec les balles lancées quand le roi et le président italien inaugurèrent l'exposition étrusque est un bon exemple mais raté.
- Parce que nous ne savions pas que la gendarmerie déplacerait la camionette.
- C'est un aspect mineur. Ce n'est pas ce que je critique. Lancer des oeufs fut, à mon avis, une erreur. Bien qu'il y a toujours une partie importante de la population qui s'oppose à la royauté, il vous faut connsidérer que la figure du roi est toujours appréciée par ceux qui se rassemblent pour le voir et que, plus encore, la plupart de gens haïssent les actions dénigrantes comme celle-là. Si, au lieu de cela, vous aviez lancé les balles à la main dans l'avenue ou aviez lâchés en l'air des ballons à gas, vous n'auriez offensé personne et auriez attiré plus l'attention. Inventez des actions comme celles-là mais évitez toujours le négatif! Mais ces faits ne peuvent pas non plus être trop fréquents, parce qu'ils ne font que marquer votre présence. Il faut des actions qui permettent de faire connaître des idées capables d'attirer, de gagner l'adhésion. Cela n'est pas facile. Cela requiert des gens capables de les expliquer, de convaincre, d'enthousiasmer: des leaders. L'opinion se structure en groupant des suiveurs autour de leaders. Vous, mademoiselle Darbée, vous avez été élue parce que vous avez cette capacité. Vous devez l'exploiter. Si l'on n'accepte pas l'une de vos idées à la Chambre, appelez la presse, expliquez la et démontrez l'erreur de ceux qui la repoussent. Vous, monsieur Durand, vous êtes un homme important qui peut aussi être écouté par la presse. Expliquez que vous appuyez ce parti parce que vous estimez que la banque est un service social, que votre banque est au service de la population et non des grands capitalistes, et j'espère que vous trouverez la façon de le démontrer. Et vous, monsieur Daems, introduisez des changements dans le fonctionnement du parti. Le système des cellules et des délégués est très démocratique mais empêche que surgissent des leaders. Il faut des assemblées où tous puissent se connaître et où les meilleurs délégués se fassent remarquer, pour passer à être leaders. Vous devriez aussi installer un serveur d'internet, avec un site web et toutes les ressources qui facilitent aujourd'hui les communications groupales: Facebook, Twitter... Ainsi vous pourriez mieux motiver et mobiliser vos sympathisants. Voilà tout ce que je peux vous dire pour l'instant, résumant en peu de mots un peu de théorie sur l'opinion publique.
- Merci, monsieur Trompel. C'est bien ce genre de choses que nous voulions entendre. Il nous faudra le discuter entre nous. Nous vous appellerons pour vous informer de nos propositions. Laissons ce thème.
Trompel avait évidemment une autre idée derrière la tête. Abolir le système des cellules révèlerait la réalité du parti et il n'était pas sûr que Daems et ses associés le désirent. Il avait aussi mis en évidence l'étrangeté de la présence d'un directeur de banque. Durand avait pâli quand il s'était dirigé à lui. Le rappellerait-on vraiment? Il avait peut-être été trop loin!
Ils étaient arrivés au dessert et parlèrent d'autres aspects de la politique belge. Puis ils se séparèrent.
Quand Trompel fut parti, Daems se mit à rire.
- L'homme t'a donné une leçon -dit-il en regardant Durand.
- Je n'aurais pas du venir. Il doit se demander ce que je faisais ici.
- Mais tu voulais le connaître. Maintenant, tu le connais. Et il nous a donné de bons conseils, à ce qui me semble. Bien qu'il ne nous convient pas de les appliquer tous. Changer la structure du parti pourrait être dangereux pour nous.
- Mais il a raison en ce qui concerne notre présence politique -intervint Darbée-. Nous devons élever davantage notre voix, faire que les média parlent plus de nous. Sinon, nous n'obtiendrons pas plus de voix et nous ne pourrons assurer une victoire future.
- Il nous faut inventer des faits qui causent sensation.
- Nous l'avons déjà fait et nous en préparons d'autres.
- Qui seront clairement en notre faveur?
- Je convoquerai le Noyau -dit Durand.
- Monsieur Trompel, j'ai suivi vos articles dans La Dernière Heure et je suis fort satisfait de vos commentaires favorables mais pondérés. Je suis sûr que votre éthique professionnelle vous empêche d'être plus chaleureux, mais le délégué de votre groupe m'a assuré que vous avez démontré un grand compromis avec les principes de base de notre parti, et j'en suis très heureux. Il m'a aussi dit que vous étiez disposé à nous donner quelques conseils pour le développement de notre stratégie de propagande. Nous avons engagé une agence de publicité, mais j'ai bien peur que la politique ne l'intéresse pas beaucoup et que, de ce fait, elle ne comprend pas trop ni la scène spécifique ni ce que nous désirons, chose que vous connaissez fort bien. En conséquence, nous aimerions savoir jusqu'à quel point vous seriez disposé à collaborer avec nous. Et je vous demanderais ensuite quelques orientations initiales.
- Monsieur Daems, vous avez bien été informé de mon intérêt et, comme je l'ai signalé dans les réunions, il me semble que le parti manque d'une meilleure compréhension de la façon dont fonctionnent les média et comment l'on peut orienter l'opinion publique. Une chose est faire de la publicité, mais il en est une autre d'essayer de se gagner et d'orienter l'opinion, tout spécialement à partir d'une position débile comme celle d'un parti minoritaire.
- Mais on pourrait estimer que presque tous les partis belges sont essentiellement minoritaires -objecta Durand.
- En effet. Mais souvenez-vous qu'ils ont pour la plupart une longue histoire, étant héritiers -en majorité- de grands partis qui ont agi pendant plus de cinquante ans. Pour cela, plusieurs d'entr'eux ont hérité d'une partie des électeurs par simple tradition alors que d'autres ont adopté des positions auparavent inexprimées mais aussi ancrées dans des affaires du passé, comme les différences lingüistiques. Pour les partis avec de nouvelles idées, comme le nôtre, ils est très difficile de leur faire la concurrence et une stratégie non traditionnelle en politique est indispensable.
- Je peux vous confirmer par expérience qu'il est très difficile de se faire entendre -concorda Paula Darbée-. Vous ne savez pas ce qu'il m'en coûte de me faire écouter à la Chambre.
- Je crois que nous sommes d'accord là-dessus. Et c'est pourquoi votre assistance nous intéresse. Comment pouvons-nous nous l'assurer? Voilà la première question que je voudrais que vous me répondiez. Pouvons-nous vous engager dans notre équipe administrative? Dans quelles conditions?
- Je ne voudrais pas renoncer à mon travail actuel -répondit d'abord Trompel, qui avait clairement ses objectifs propres-. Je ne doute pas que ce que je fais à La Dernière Heure vous convient et l'abandonner pourrait vous causer préjudice. Vous avez maintenent un allié dans la presse et, si vous n'en avez pas d'autre, cela est fondamental. Il serait bon d'en avoir un aussi en télévision, mais vous connaissez sûrement la loi: le personnel de presse de la RTB s'engage d'accord avec la quantité de votes obtenu par chaque parti, et vous ne pourrez donc en avoir un que lorsque vous obtiendrez une meilleure représentation électorale. Pour ma part, donc, je ne peux vous offrir qu'un temps très réduit. Je peux vous donner des conseils; je peux vous communiquer mon opinion sur votre campagne publicitaire. Peut-être aussi assister aux réunions de la cellule où l'on discutera plus directement comment transformer les principes et objectifs du parti en actions de propagande. Mais cela serait tout. Si vous désirez me payer pour cela, je vous en serai reconnaissant mais, si cela n'interfère pas avec mon horaire normal de travail, cela ne me semble pas fondamental.
- Cela est très clair pour nous, monsieur Trompel -répondit Durand-. Nous vous inviterons à nos réunions de planification quand elles traiteront d'actions publiques. Et nous vous soumettrons les plans que prépare notre agence de publicité pour les évaluer et les corriger. Pour ces travaux spécifiques, qui vous prendront du temps hors des réunions, nous vous payerons. Qu'en pensez-vous?
- Je suis d'accord.
- Maintenant, monsieur Trompel -continua Daems-, en vue de ce que nous avons fait jusqu'à présent et de vos observations au sujet de l'action sur l'opinion, pourriez-vous nous donner un conseil pour formuler une ligne de conduite générale?
- Bien sûr. Avant tout, dans notre cas, il faut considérer la nécessité d'une forte présence dans les média. Pour cela, la publicité est totalement secondaire. Ce qui est fondamental, c'est d'être présent dans les nouvelles et de susciter une discussion publique et, évidemment, attirer les adhésions. Cela ne s'obtient pas avec des insertions payantes: cela s'obtient en créant des faits qui attirent l'attention. Votre essai avec les balles lancées quand le roi et le président italien inaugurèrent l'exposition étrusque est un bon exemple mais raté.
- Parce que nous ne savions pas que la gendarmerie déplacerait la camionette.
- C'est un aspect mineur. Ce n'est pas ce que je critique. Lancer des oeufs fut, à mon avis, une erreur. Bien qu'il y a toujours une partie importante de la population qui s'oppose à la royauté, il vous faut connsidérer que la figure du roi est toujours appréciée par ceux qui se rassemblent pour le voir et que, plus encore, la plupart de gens haïssent les actions dénigrantes comme celle-là. Si, au lieu de cela, vous aviez lancé les balles à la main dans l'avenue ou aviez lâchés en l'air des ballons à gas, vous n'auriez offensé personne et auriez attiré plus l'attention. Inventez des actions comme celles-là mais évitez toujours le négatif! Mais ces faits ne peuvent pas non plus être trop fréquents, parce qu'ils ne font que marquer votre présence. Il faut des actions qui permettent de faire connaître des idées capables d'attirer, de gagner l'adhésion. Cela n'est pas facile. Cela requiert des gens capables de les expliquer, de convaincre, d'enthousiasmer: des leaders. L'opinion se structure en groupant des suiveurs autour de leaders. Vous, mademoiselle Darbée, vous avez été élue parce que vous avez cette capacité. Vous devez l'exploiter. Si l'on n'accepte pas l'une de vos idées à la Chambre, appelez la presse, expliquez la et démontrez l'erreur de ceux qui la repoussent. Vous, monsieur Durand, vous êtes un homme important qui peut aussi être écouté par la presse. Expliquez que vous appuyez ce parti parce que vous estimez que la banque est un service social, que votre banque est au service de la population et non des grands capitalistes, et j'espère que vous trouverez la façon de le démontrer. Et vous, monsieur Daems, introduisez des changements dans le fonctionnement du parti. Le système des cellules et des délégués est très démocratique mais empêche que surgissent des leaders. Il faut des assemblées où tous puissent se connaître et où les meilleurs délégués se fassent remarquer, pour passer à être leaders. Vous devriez aussi installer un serveur d'internet, avec un site web et toutes les ressources qui facilitent aujourd'hui les communications groupales: Facebook, Twitter... Ainsi vous pourriez mieux motiver et mobiliser vos sympathisants. Voilà tout ce que je peux vous dire pour l'instant, résumant en peu de mots un peu de théorie sur l'opinion publique.
- Merci, monsieur Trompel. C'est bien ce genre de choses que nous voulions entendre. Il nous faudra le discuter entre nous. Nous vous appellerons pour vous informer de nos propositions. Laissons ce thème.
Trompel avait évidemment une autre idée derrière la tête. Abolir le système des cellules révèlerait la réalité du parti et il n'était pas sûr que Daems et ses associés le désirent. Il avait aussi mis en évidence l'étrangeté de la présence d'un directeur de banque. Durand avait pâli quand il s'était dirigé à lui. Le rappellerait-on vraiment? Il avait peut-être été trop loin!
Ils étaient arrivés au dessert et parlèrent d'autres aspects de la politique belge. Puis ils se séparèrent.
Quand Trompel fut parti, Daems se mit à rire.
- L'homme t'a donné une leçon -dit-il en regardant Durand.
- Je n'aurais pas du venir. Il doit se demander ce que je faisais ici.
- Mais tu voulais le connaître. Maintenant, tu le connais. Et il nous a donné de bons conseils, à ce qui me semble. Bien qu'il ne nous convient pas de les appliquer tous. Changer la structure du parti pourrait être dangereux pour nous.
- Mais il a raison en ce qui concerne notre présence politique -intervint Darbée-. Nous devons élever davantage notre voix, faire que les média parlent plus de nous. Sinon, nous n'obtiendrons pas plus de voix et nous ne pourrons assurer une victoire future.
- Il nous faut inventer des faits qui causent sensation.
- Nous l'avons déjà fait et nous en préparons d'autres.
- Qui seront clairement en notre faveur?
- Je convoquerai le Noyau -dit Durand.