14/07/2009

Les yeux d'Horus 7.3.

C'était le milieu de l'après-midi. Beaucoup d'habitants de la ville se dirigeaient au stade pour assister au match de football habituel à cette date. Le bourgmestre saluait la majorité de ses concitoyens à l'entrée et remettait discrètement l'invitation à la réunion extraordinaire du Conseil aux invités. Le mouvement ordinaire s'interrompit lorsque tous ressentirent une forte secousse sysmique. Ils regardèrent les gradins du stade ou les maisons voisines, selon leur position, mais ne virent aucun signe de destruction. Après quelques minutes d'incertitude, le flux de spectateurs continua. A ce moment aussi, Trompel, qui n'avait rien à faire, se levait après une longue sieste. Il sentit la secousse et pensa d'abord qu'il n'était pas bien réveillé. Mais quelques objets tombèrent de la petite console de la salle de bain et il comprit alors de quoi il retournait. Il y avait probablement un tremblement de terre dans un endroit éloigné. Il attendit un moment, puis s'habilla pour sortir et se rendit aussi au stade pour passer le temps en observant le match de football. En passant par la Grand Place, il se rendit compte que les étudiants avaient retiré les banderoles noires et remis les drapeaux. L'annonce du bourgmestre les avait rappelé à la raison. Ils attendraient avec impatience les annonces de l'autorité.


*

Au palais, le duc interrompit la conversation et activa un contrôle à distance. Un panneau d'un des meubles se déplaça, découvrant un grand écran de télévision. Il s'alluma et le canal de la CNN apparut. Le speaker, qui parlait d'une réunion de ministres de l'Union des Nations Sudaméricaines, fut interrompu par un 'flash' de dernière minute. Une journaliste apparut avec, derrière elle, une vue d'activité fébrile dans une grande salle de presse.

- "Nous interrompons nos informations sur la réunion de l'UNASUR parce que viennent de nous parvenir de nombreux rapports sur d'importants phénomènes naturels qui ont lieu simultanément un peu partout dans le monde. Un sysme sévère a secoué toute la zone de la faille de Saint-André en Californie. On rapporte de nombreux édifices détruits. Nous tentons de contacter notre correspondant dans cette région. La même chose est arrivée dans d'autres zones instables comme la faille de la Méditerrannée et les bords de la plaque de Nazca, en Amérique du Sud. De plus, divers volcans sont entrés en éruption tout au long du cinturon de feu du Pacifique et dans quelques autres régions. Toute la planète est secouée par des forces ..."

A ce moment, la transmission fut interrompue et l'écran se remplit de brouillage statique.
- La Nouvelle Ere commence avec le feu, comme l'antérieure avec l'eau, comme l'ont prédit nos ancêtres -rappela le duc-. Quelqu'un en doutait-il?
- Cela ne devait pas nécessairement arriver aujourd'hui -signala Kaminsky-. Les mayas avaient fixé la date du 23.
- Alors quelqu'un a pu se tromper dans la traduction, ou bien le calcul égyptien était plus exact -répondit Al Zahari.
- Et que se passe-t'il maintenant? Pourquoi sommes-nous sans communication? -dit un autre.
- C'était à attendre- dit le duc-. Les physiciens solaires ont découvert que le soleil a un cycle de onze à douze ans d'activité. Le dernier pic d'activité maximum, quand explosent las taches solaires qui envoient de la radiation électromagnétique dans toutes les directions, a eu lieu l'an 2000. Cette année devait se produire un autre pic. L'explosion a dû arriver à notre magnétosphère il y a quelques minutes et bloque tous les satellites.
- Et personne n'a pu le prévoir?
- La tourmente est si rapide qu'elle peut arriver à la Terre en quinze minutes, comme il fut démontré le 20 janvier 19951, bien que le plus souvent elle met deux heures. Et cela eut lieu malgré que le soleil était dans une période d'activité minimale.
- Ainsi le pic actuel pourrait aussi être lié à la fin du Cinquième Soleil maya?
- Pourquoi pas? Il semble qu'ils savaient beaucoup plus que nos actuels astrophysiciens.
- Alors il semble que le changement d'Ere est confirmé par de multiples signes naturels -dit alors John Connor-. Mais il nous faudra attendre que les satellites recommencent à fonctionner pour confirmer l'amplitude de ces signes.
- Quelque chose qui ne se serait pas passé avec des systèmes basés sur l'osirine -dit Doorman-. Ces cristaux ne sont pas affectés par le magnétisme solaire. Ni par les faisceaux quantiques qu'ils peuvent lancer. Mieux que des lasers. Dans quelques années, les satellites de communication actuels seront obsolètes et devront être remplacés par d'autres, avec notre technologie.
- Et avec nos lanceurs -ajouta Yerkov-. Basés sur les vimanas. Sans combustible fossile ni contamination.
- Et d'où partiront-ils? -demande Jane Wilson-. Nous les vendrons à la NASA?
- Cela n'est pas décidé -dit le duc-. Cela dépend de nous. Si nous voulons, nous pouvons conserver le monopole. Et la principauté a assez d'espace pour installer un port aérospacial. Rappelez-vous les dimensions de la base du temple de Baalbeck: les anciens n'avaient pas besoin de plus pour leurs aéronefs. Mais je ne crois pas que le monopole soit ce qu'il y a de mieux. Notre philosophie s'oriente à partir de maintenant vers la diffusion des connaissances et le service à l'humanité. La seule chose que nous devons assurer est que rien ne soit utilisé à des fins destructives.
- Cela est facile -réplica Doorman-. Tous les systèmes peuvent inclure une fonction d'autodestruction en cas de mauvais usage. Nous offrirons des unités intégrées de contrôle avec les détecteurs appropriés. Simplement, elles se fondront si on essaye d'en faire un usage inadéquat. La technique est connue et utilisée en informatique: cela s'appelle une "bombe logique".
- Nous savons que nous pouvons compter sur toi dans ce domaine -dit le duc-. Ce sera l'une des premières choses que tu devras fabriquer. Je suppose qu'en question de programmation quantique intégrer notre noyau d'osirine n'est pas de la petite bière.
- D'accord. Cela prendra quelques mois à mes ingénieurs.
- Qui devront être de confiance absolue et immunisés face aux tentations.
- Je m'en chargerai. Ils devront travailler ici et j'ai une très bonne idée de la façon dont je pourrai les contrôler. Financièrement... et avec d'autres méthodes, discrètes bien entendu.
- Bien. Faisons un premier résumé. Kaminsky prépare un plan pour les Etudes Religieuses. Doorman se charge de la nouvelle informatique. Wilson se chargera de préparer les contrats de travail avec clause de confidentialité et exclusivité. Vermeer cherchera et achètera les droits sur les mines d'osirine que nous n'avons pas encore. Yerkov peut se charger des astronautiques: c'est son domaine. Il a travaillé au projet secret Ajax, un véhicule expérimental qui devait voler à dix mille kilomètres-heure, avec propulsion magnétique. Il était très près d'émuler certains types de vimanas. Mais l'URSS n'avait ni les ressources ni les connaissances nécessaires pour terminer le projet. Et nous connaissons aussi ceux qui ont travaillé sur l'Aurora, son équivalent américain2. Bien que personne ne sait si l'Aurora a été terminé et s'il a volé. Ce n'est pas nécessaire: nous pouvons créer de meilleurs appareils, mais il nous faut les ingénieurs de ces projets pour ne pas partir de zéro. Yerkov s'est libéré spécialement pour ce projet. Il nous faut maintenant une bonne firme de construction, pour construire le Centre et l'Institut. Il serait bon d'avoir un architecte de renom, qui puisse travailler exclusivement pour nous pour un temps, qui comprenne notre projet et projette ces bâtiments dans l'esprit adéquat. Qui a des contacts?
- Je vous rappelle qu'en Arabie nous avons de l'expérience en engagement d'experts externes et en constructions de villes entières même sur des îles artificielles, comme à Dubaï -dit Ali Al Kabir-. Je n'aurai aucune difficulté à trouver un architecte et un constructeur.
- D'accord. Tu t'en occupes. Il nous faut maintenant une équipe de biologues et neurologues des plus avancés. Qui peut s'en charger?
- ¡J'ai de bons contacts à mon université -répondit Van der Berg-. Ce ne sont pas les gens dont nous avons besoin, mais ils ont des projets associés avec l'Institut Pasteur de Paris, qui a les meilleurs biologues, et à l'université d'Oxford, où a enseigné Roger Penrose, un précurseur de la recherche en physique quantique du cerveau. Il a laissé là des disciples qui sont ce qu'il y de meilleur. Et je connais quelqu'un qui peut me faciliter le contact. Si je peux utiliser l'un de nos documents secrets, je suis sûr que celui qui le lira ne pourra résister à la tentation de venir ici.
- Tu devras utiliser une traduction et la nettoyer un peu pour ne pas trop révéler -dit le duc.
- C'est évident. Nous avons déjà des versions modernisées. Je ferai une dernière révision avant de l'envoyer.
- D'accord. Quel domaine nous manque encore?
- Les télécommunications. Mais elles sont déjà tellement informatisées que je n'aurai aucun problème à trouver les gens adéquats -dit Doorman.
- Alors, que ce soient de bons physiciens et pas de simples ingénieurs en électronique -dit le duc-, sinon ils nous feront perdre du temps.
- Ne t'en fais pas, j'en tiens parfaitement compte.
- Très bien. Je crois que ce sera tout pour aujourd'hui. Passons plutôt dîner. Demain nous parlerons du plan de diffusion et nous tenterons d'établir un chronogramme, si vous êtes d'accord.

Il n'y eut aucune objection et tous passèrent à la salle-à-manger. Après le repas, le duc invita de nouveau Kaminsky à le suivre à la bibliothèque, avec ceux qui étaient intéressés par la partie d'ostratégie qu'il avait annoncée. D'autres sortirent se promener ou s'en furent à leur chambre.
- Yerkov est très habile dans ce jeu, comme un bon russe -dit le duc-. Je jouerai avec lui. Observez, docteur Kaminsky!

Il sortit alors d'un meuble deux boîtes et un damier. Il mit ce dernier sur la table, près d'une de ses extrémités, et les deux joueurs s'assirent l'un face à l'autre. Au centre de la table, il y avait une lampe qui les illuminait ainsi latéralement. Ils éteignirent les lustres pendant du plafond. Le duc passa l'une des boîtes à Yerkov et conserva l'autre. Chacun mit ses mains sur sa boîte et se concentra, paraissant méditer. Ensuite, ils les ouvrirent, en sortirent les pièces et les mirent sur le damier. Celui-çi avait seize cases par côté. Toutes étaient blanches, sauf un groupe central de quatre sur quatre qui étaient noires. Chaque joueur posa veingt-huit pièces: quatorce sur un bord et quatorce sur le bord opposé. Quatorce, comme les morceaux du corps d'Osiris! Il y avait ainsi des pièces sur les quatre bords, sauf dans les cases des coins, qui restaient vides. Les pièces étaient toutes identiques, ressemblant au cheval des échecs, mais avec une tête de faucon. Celles que mit le duc, sur les bords paralèles à son corps paraissaient légèrement bleutées, alors que celles de Yerkov, sur les bords perpendiculaires, avaient une teinte vert-pâle. La salle était en complet silence et les joueurs semblaient extrêmement concentrés. Deux pièces du côté du duc avancèrent au casier suivant, sans que personne ne les toucha. Il en fut de même ensuite de deux pièces de Yerkov. Comment se produisait ce mouvement? Télékinèse? -pensa Kaminsky.

Les mouvements se multiplièrent et les pièces commencèrent à se rencontrer. Suivant des règles que l'égyptologue ne connaissait pas et ne put déduire, dans ce cas elles n'étaient pas retirées du damier: l'une des deux pièces en dispute changeait d'orientation et, en même temps, de couleur, passant à appartenir à l'opposant. Il fut vite clair que le but final était l'occupation de casier central. C'était donc un jeu de stratégie. Les pièces seraient-elles en osirine? Cela expliquerait le nom du jeu: "ostratégie", stratégie avec de l'osirine. Yerkov fut finalement celui qui se rendit maître de la zone centrale, non sans une vigoureuse défense du duc.

- Qu'est-ce que vous en pensez, professeur -dit alors le duc, sortant de sa concentration.
- C'était de la télékinèse? Avec des pièces d'osirine?
- En effet, docteur. L'osirine capte les ondes cérébrales et répond de diverses manières selon les déterminations d'une personne entraînée. Yerkov et moi, nous sommes ceux qui ont le plus d'expérience. Vous avez pu voir comment changeait la couleur selon l'exposition à la lumière: c'est une autre propriété de l'osirine.
- Merveilleux!
- Imaginez maintenant une lumière puissante et une amplification des ondes cérébrales. Jusqu'où pourrons-nous aller?
- Je ne peux me l'imaginer!
- Nous qui avons lu les anciens documents, nous l'imaginons fort bien. Et nous le ferons, grâce à notre Centre de Recherche. Voulez-vous essayer? Je vous donnerai une seule pièce. Gardez-la dans la main fermée un moment et concentrez votre attention sur elle. Mettez-la ensuite sur le damier, près de vous, et pensez à la faire avancer.

Il céda son siège à Kaminsky et, après avoir vidé le damier, lui donna l'une des pièces. L'archéologue la prit et ferma les yeux, pensant uniquement à ce qu'il touchait. Puis, ouvrant les yeux, il mit la pièce sur une des cases du bord du damier et essaya de la pousser mentalement. Il ne se passait rien. Il insista, augmentant sa force mentale. La pièce avança de quelques millimètres. Mais il ne put en faire plus. Il se sentit épuisé et, abandonnant tout effort, se tourna vers le duc. 
- Vous m'avez aidé?
- Pas du tout. Pour un premier essai, ce n'est pas mal. Avec de l'entraînement, vous pourriez utiliser l'osirine. Apprendre le jeu est plus complexe et j'ai bien peur que nous n'en aurons pas le temps, au moins avant que vous ne veniez vivre ici. Quelqu'un d'autre veut jouer? -demanda-t'il alors, en se dirigeant aux autres convives.
 
Deux nouveaux joueurs s'installèrent en face du damier et une autre partie commença, que Kaminsky observa fasciné. Elle fut nettement plus lente. Les joueurs ne semblaient pas avoir la même facilité ou pouvoir que Yerkov et le duc. Quand ils terminèrent, tous jugèrent qu'il était tard et temps de se coucher. Ils se saluèrent et montèrent à leurs chambres.