En 2003, à Bruxelles:
- Nous n'avons toujours pas d'autre piste -dit Servais à Trompel-. Et nous n'avons pas d'autre cas urgent pour le moment. Il serait assez compliqué d'expliquer cette affaire dans une requête d'information au travers d'Europol à la police suisse. Va donc à Genève et contacte le CERN, pour savoir s'ils savent quelque chose de Gossin. Puis visite aussi le Registre Civil, pour savoir si ce nom y apparait.
Ainsi, le lendemain à la première heure, Trompel prenait un TGV à destination de l'Italie, qui le déposait à Genève quelques heures plus tard.
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A Genève:
L'Agence du Temps ne savait pas si quelqu'un suivrait ou non la piste de Gossin jusqu'en Suisse. Les chefs de l'Agence, cependant, n'avaient aucune confiance dans ses déclarations assurant que ses actions n'auraient aucune répercussion. Il leur fallait s'en assurer, raison pour laquelle ils envoyèrent un autre agent à la Genève de 2003. Celui-çi lut les journaux belges des jours précédants, jusqu'à la date où apparut la nouvelle de la disparition du scénariste de la série qui avait été titulée "Les Courbes du Temps". Un des journaux avait fait mention de documents découverts au domicile de Gossin qui anticipait de nouveaux épisodes et d'une "explication surprenante". Sans doute s'agissait-il d'un document confidentiel de l'Agence et, s'il en était ainsi, la police pourrait arriver aux bureaux du CERN et poser des questions incommodes, bien que personne, à cette époque, ne les prendrait au sérieux. Mais elles pourraient pousser à une recherche scientifique avant le moment adéquat, vu que la construction du LHC était alors en pleine marche.
Trompel, effectivement, avait été envoyé poser ces questions, courrant le risque évident d'apparaître comme en policier un peu cinglé. Quand il entra au CERN, un jeune homme s'approcha inmédiatement de lui, lui demandant ce qu'il désirait. Il demanda à rencontrer "un certain monsieur Gossin" qui, selon des antécédentes de la police belge, avait travaillé là ou y avait obtenu des documents qui pouvaient être confidentiels. L'homme -qui était l'agent du futur destiné à l'intercepter- lui répondit que personne de ce nom ne travaillait là. Il se présenta comme chargé des relations publiques et l'invita à parler à la cafétaria, pour tirer au clair de quels documents il s'agissait avant de consulter formellement ses supérieurs.
Trompel fit un bref résumé du contenu de la série de télévision et du document provenant de l'éventuelle "Agence du Temps". Le jeune homme se mit à rire à plusieurs reprises.
- Monsieur Trompel, cela semble en vérité une bonne série de science fiction. Mais, sachant de physique, laissez-moi vous dire que les muons n'ont aucunement la capacité de déplacer des objets, ni dans l'espace ni dans le temps [ce dont, au moins, on était convaincu en 2003].
- Cependant, Einstein a prédit que le voyage dans le temps deviendrait un jour une réalité.
- Vous devriez savoir que, jusqu'à présent, cette affirmation n'a jamais pu être confirmée. Si la Télévision belge veut tirer parti de cette idée ou d'un autre conte basé sur les documents que vous me signalez, elle est libre de le faire. Mais le CERN n'acceptera d'aucune manière d'être cité comme source ou référence, car cela ferait du tort à la crédibilité de nos études en cours. Il est plus que suffisant qu'on ait donné le nom de "particule de Dieu" au bosson de Higgs que nous essayons de trouver. Ceci est un véritable défi scientifique, qu'une vulgarisation de mauvais goût pourrait endommager.
- En cela, je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais le fond de la question -et de mon travail de policier- n'est pas de vérifier une hypothèse scientifique sinon de découvrir où se trouve monsieur Gossin, indépendament du fait qu'il soit ou non l'inventeur du scénario de télévision et des documents que nous avons trouvé. Il est suffisant, pour moi, que vous m'assuriez qu'ils ne sont pas sortis d'ici. Et je regrette que ce monsieur Gossin ne vous soit pas connu, car nous n'avons pas plus de pistes pour le retrouver.
- Croyez-moi que, en tant que chargé des relations publiques, je me souviendrait de lui s'il était venu consulter quoi que ce soit pour soutenir ces théories fantaisistes.
Sans plus de question, Trompel prit congé de son interlocuteur et s'en fut au siège du gouvernement de la ville, à la recherche du Registre Civil. Mais il n'y trouva aucune trace de Jean ni d'Henri Gossin. Une autre piste disparaissait ainsi et il dut rentrer à Bruxelles, reconnaissant l'échouement de sa mission à l'étranger.
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Genève, année 2257
- Agent Gossin, vous êtes accusé d'avoir voyagé sans autorisation et d'avoir emporté une copie du Journal de Bord de l'Agence, risquant ainsi de compromettre le cours de l'histoire.
- Au cours de mes recherches sur le début du XXI° Siècle en Europe, je suis tombé par hasard sur l'histoire de la Télévision Belge. Si vous l'étudiez, vous y verriez qu'elle a diffusé en 2003 une série intitulée "Les courbes du temps" dont le scénariste était Jean Gossin, c'est à dire moi. J'étais donc obligé d'y aller, pour assurer le cours de l'histoire. Il fallait que j'écrive le scénario de plusieurs chapitres et que je revienne avant de finir la série. J'ai donc emmené la documentation nécessaire et vous m'avez obligé à revenir à la date correcte. Je n'ai ainsi fait qu'assurer le cours correct de l'Histoire. J'ai oublié de ramener le document, mais vous pouvez vérifier que les conséquences ont été nulles. Personne n'a cru à la possibilité réelle de ces voyages dans le Temps, même si quelques physiciens l'avaient déjà formulée bien avant.
- Vous avez de la chance que nous avons intercepté le policier chargé de vous retrouver et, qu'ainsi, le CERN de 2003 n'a pas été mis en cause. Mais les risques furent grands et nous ont obligé à une mission imprévue et hasardeuse, pour éconduire ce policier. En conséquence, vous êtes suspendu pour un mois et vous serez transféré à la section administrative.
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La RTB suspendit définitivement la diffusion de sa série "Les Courbes du Temps", la remplaçant par la série "Vermist" de la BRT, sur des personnes disparues. Elle espérait pouvoir transmettre un chapitre propre sur la disparition de Gossin, ce qui n'arriva jamais car l'affaire resta sans suite.
Avec grand regret, Servais scella et archiva le dossier: "Cas non résolu."
FIN