19/06/2012

Agence du Temps 3.3


Trompel retourna à sa lecture du document trouvé dans l'appartement de Gossin.

3.3. Logique de l'histoire

Si nous intervenons dans le passé, comment pouvons-nous le faire sans changer toute l'histoire? La Théorie du Chaos ne dit-elle pas que le battement d'ailes d'un papillon en Amazonie peut causer un houracan dans les Caraïbes ou un typhon en Mer de Chine? Ceci est en réalité une exagération. Cela pourrait arriver, mais seulement si les conditions initiales sont favorables à ce dénouement. Cela est le principe fondamental de la Théorie du Chaos: tout dépend des conditions initiales. Cela vaut autant pour l'Histoire que pour la météorologie, comme nous le savons aujourd'hui. Avec le climat, nous avons réussi peu à peu à contrôler les conditions initiales, ce qui nous permet de le dominer de mieux en mieux. Mais nous ne pouvons dominer les conditions initiales de l'Histoire. Donc, beaucoup d'actions n'auront aucun effet ni à moyen ni à long terme. Mais d'autres pourraient rencontrer des conditions initales favorables inattendues, méconnues par nous, ce qui est un réel danger. Mais un danger seulement théorique. En réalité, il ne peut arriver auncun effet qui change l'Histoire à long terme. Car, s'il arrive, nous ne serions pas ici, nous ne discuterions pas ce point, nous n'aurions pas de collisioneur et personne ne voyagerait dans le passé pour causer ce changement. Voilà le paradoxe. En réalité, l'Histoire se protège elle-même, au moins dans les macro-processus. Ce que l'Agence étudiera, c'est ce qui arrive dans les micro-processus. Nous ne savons pas si les "défenses" sont les mêmes. Nous savons déjà que nous pouvons aller et revenir, sans conséquences négatives pour le voyageur. Mais que pouvons-nous faire réellement? Seulement observer? Éviter des actes pernicieux ou réduire leurs effets? Accélérer des processus bénéfiques? Voilà les questions qui devront guider nos expériences.

4. Vérifications expérimentales (Conditions de base du voyage)

Alors que les ingénieurs faisaient les calculs et essayaient de déduire comment s'était produit le premier "voyage" et comment le reproduire, nous faisions aussi face à un autre problème: que se passerait-il si le voyageur "aterrissait" dans le passé sous terre, sans espace pour con corps? Il mourrait suffoqué? Nous avons alors cherché dans les archives à quoi correspondait l'endroit où était le bureau du disparu. Et nous avons pu vérifier que, il y a cent ans, il existait là un tunnel et une espèce de grotte et qu'on en avait profité pour installer le bureau de contrôle. Les grottes naturelles vides étaient les meilleurs endroits pour installer des équipement de détection de muons. Et le CERN avait fait une étude géologique de la zone et découvert cette grotte, qui avait au moins cent mille ans d'existence. De plus, elle avait aussi une sortie naturelle, à un kilomètre de distance, seulement couverte en partie par un peu de terre et quelques arbustes, et une petite cheminée qui permettait l'entrée d'air. La sortie serait donc facile à ouvrir si quelqu'un "aterrissait" là. Nous pouvions donc utiliser le bureau comme "chambre de transport" en toute sécurité.

L'arrivée dans le futur pouvait présenter un autre problème: on pouvait assurer l'existence de l'Agence à moyen terme. Mais, peut-être, à un autre moment de l'avenir, elle pourrait ne plus exister. Si le collisioneur ou une autre machine avec les mêmes fonctions n'existait plus, notre agent ne pourrait pas revenir. Avancer dans le passé signifiait donc aussi un risque de ne pouvoir revenir et, de ce fait, nos agents devraient être non seulement des historiens experts dans l'époque visitée mais aussi des volontaires disposés à ne pas revenir.

Pendant que les historiens engagés pour explorer le passé pour y chercher des périodes et faits intéressants pour les projets futurs, nous envoyâmes des volontaires à de courts intervales de distance temporelle pour afiner les procédés et observer les conditions du voyage. Au début, on ne leur permit pas de sortir de la grotte où ils arrivaient dans le passé. Ensuite on leur permit de sortir observer brièvement les environs, puis de s'approcher des anciennes installations du CERN à Meyrin, et enfin d'aller à Genève, mais en évitant tout contact. Des suites des autres activités du CERN, les voyages étaient peu fréquents. Ils ne furent pas plus de cinq au cours de la première année d'expériences.

La première mission d'un peu plus d'extension que nous avons planifiée avec un objectif précis fut l'assistance à l'inauguration de l'Agence du Temps, il y a un siècle. Nous en savions évidemment la date et nous connaissions le programme officiel, mais nous n'avions pas de détails au sujet de l'ouverture au public, de ce qui pouvait être visité et du type d'information qui était donnée. Ce fut ce dont nous avons chargé l'un des nôtres. Nous avions dans notre musée quelques coupe-files utilisés à cette époque et nous lui en avons donné un. Mais notre calcul de projection dans le temps ne fut pas assez précis.

Comme il nous raconta au retour, à la fin du même jour, il était arrivé deux jours après l'inauguration. Il entra comme n'importe quel visiteur et on le fit passer dans la salle où tous pouvaient observer, sur des téléviseurs, les pronostics du temps pour tous les continents, ou bien s'installer dans une station de consultation interactive où l'on pouvait obtenir des informations sur les stations de mesure du climat et voir une description des procédés utilisés. Il voulut alors utiliser son coupe-file pour visiter le reste du bâtiment. Il passa grâce à lui le premier contrôle d'accès mais, en parcourant le couloir principal, il vit -en observant d'autres fonctionnaires- qu'avant d'entrer dans plusieurs dépendances ou de prendre un ascenseur, il fallait approcher un oeil d'un petit appareil. Il ne savait pas ce dont il s'agissait. Il approcha son oeil et, inmédiatement, une alarme sonna et deux gardes s'approchèrent de lui. Ils lui demandèrent son identification et il leur montra son coupe-file. Il le menèrent alors à un petit bureau et passèrent la carte par un autre lecteur, qui la valida à nouveau. On lui demanda alors d'approcher à nouveau son oeil d'un détecteur et l'appareil montra un message d'erreur. On lui dit alors qu'il n'était pas le propriétaire légitime du coupe-file, que son oeil le trahissait. Notre homme ne savait rien sur les mesures de sécurité de cette époque et nos registres ne rapporaient pas l'emploi de lecteurs d'iris. Aujourd'hui on utilise la reconnaissance inmédiate de l'ADN. Il fut remis à la police, accusé de soustraction d'identité. On lui demanda son nom et un document d'identité authentique, mais il ne portait aucun autre document de l'époque et il n'aurait servi de rien de donner un autre nom que celui associé au coupe-file. Il insista donc sur le même nom. On lui photographia l'iris et on prit ses empreintes digitales avec l'intention de rechercher son identité réelle. L'interrogatoire porta sur ses intentions et il expliqua qu'une autorité l'avait chargé de parcourrir l'Agence pour vérifier ses mesures de sécurité. Il donna le nom du premier directeur et on lui dit qu'on allait vérifier. Il fut enfermé, seul, dans le petite salle d'interrogatoire, moment dont il profita pour disparaître en se faisant transporter de retour.

Les calculs et expériences postérieures -qui prirent toute l'année 2240- permirent d'établir les paramètres pour mieux contrôler le flux de muons et déterminer, avec une marge inférieure à une semaine, la date à laquelle on pouvait envoyer le "voyageur". C'est alors que le CERN réalisa le premier rapport qui fut remis confidentiellement aux autorités supérieures de l'Union Européenne. Et ce qui porta à créer la Section Historique de l'Agence du Temps et à rédiger le premier règlement pour les voyages dans le Temps.