26/06/2012

Agence du Temps 3.4


Le document poursuivait:

    5. Mise en route

Considérant que, comme déjà signalé, les objectifs historiques ne s'inscrivent pas dans les fonctions normales du CERN, l'UE suggéra la création d'une Sous-agence Historique qui pourrait s'installer dans l'Agence du Temps. Cette Agence, en effet, aussi née à partir des recherches du CERN et installée sur le même site de Meyrin, a les meilleurs experts en théorie du chaos et ses applications, et a une section historique qui offre leurs bases aux mathématiciens, avec des données accumulées depuis le XIX° Siècle sur les variations du climat, que les historiens relient à d'autres phénomènes. Comme on sait, depuis la fin du XIX° Siècle nous comptons avec d'excellents pronostics, grâce à l'application de la mathématique du chaos en météorologie. Et il y a presqu'un siècle que nous pouvons incluencer efficacement les phénomènes climatiques en contrôlant quelques unes de ses variables. Créer, dans cette Agence, une nouvelle "section historique" chargée des projets de voyages dans le Temps permettrait d'utiliser non seulement une structure organisative et scientifique adéquate mais aussi de conserver adéquatement le secret pendant le temps nécessaire.

Nous adjoignons en annexe une description de la structure de cette nouvelle Section, proposition de personnel, budget d'installation et d'opération. Les détails techniques sont connus exclusivement des physiciens atomiques.

    [Cette annexe ne fut pas trouvée dans l'appartement de Gossin.]

Une fois créée la Section, elle commença une série de consultations a des historiens, sous des règles strictes de confidentialité, pour spécifier les conditions du "voyage" et les faits ou périodes d'intérêt majeur. Les historiens signalèrent alors qu'il pourrait être extrèmement compliqué de voyager vers le siècle passé et même au XXI° Siècle à cause des importantes mesures de sécurité développées partout et qui se basaient sur des mesures biométriques et électroniques d'identification qui ne s'utilisent plus aujourd'hui. De multiples attentats, au début du XXI° Siècle, avaient mené la plupart des États à créer des registres et systèmes d'identification qui difficultaient énormément les voyages ainsi que l'entrée dans des installations industrielles et scientifiques, et pas seulement dans les sites militaires. Mais les systèmes d'identification plus anciens sont de fabrication facile aujourd'hui et nos agents n'auraient pas de difficultés pour les avoir et voyager vers ces époques antérieures. Nous leur avons donc demandé des propositions pour ces périodes d'avant le XXI° Siècle.

Considérant les hypothèses déjà formulées au sujet de l'intervention dans le passé, les historiens conseillèrent de sélectionner deux types de faits: ceux qui, pour des raisons de mauvaise information historique, seraient d'intérêt particulier pour une observation neutre destinée uniquement à améliorer la connaissance historique, et ceux qui pourraient servir d'expérience d'actions modificatrices à court terme ou qui, même, à la distance, pourraient sembler le fruit d'une intervention de ce type. Cette option surgit parce qu'on trouva deux cas où le nom d'une personne du passé était identique au nom de personnes connues du présent. L'une d'elles était Gilles de Rais, un historien français qui avait un ancêtre du même nom qui apparaissait à la fin de l'histoire de la vie de Jeanne d'Arc: ce de Rais avait préparé une attaque à Rouen avec un contingent de mercenaires pour sauver la Pucelle.
On pensa donc à offrir au Gilles de Rais actuel la possibilité de voyager au XV° Siècle pour vérifier cette histoire ou, même, d'essayer de sauver Jeanne ou retarder son exécution. Peut-être, même, que c'est lui-même le Gilles de Rais de Rouen et du XV° Siècle.

Un autre cas est celui de Gideon Sauvenier, un soldat français qui avait combattu avec Lafayette à la bataille de Yorktown, en 1781, qui décida l'indépendance des États-Unis. Sauvenier était un autre historien français connu. Et, comme de Rais, on pensa à lui proposer le voyage au XVIII° Si}ecle.

Ce furent les deux premier projets qui furent proposés pour la nouvelle "Section Historique". Ils permettraient de vérifier deux hypothèses: la possibilité d'effectuer des changements historiques "légers" (et jusqu'où) et celle de ce qu'un personnage du passé ait été en réalité quelqu'un venu du futur.

*

Arrivé là, Trompel se rendit compte -en lisant ce rapport- que ces deux projets correspondaient aux deux premiers chapitres de la série "Les Courbes du Temps". Le document qu'il lisait avait, donc, été la base du scénario de Gossin. Mais l'avait-il inventé, lui? Était-ce de la pure fiction ou avait-elle une base scientifique?

19/06/2012

Agence du Temps 3.3


Trompel retourna à sa lecture du document trouvé dans l'appartement de Gossin.

3.3. Logique de l'histoire

Si nous intervenons dans le passé, comment pouvons-nous le faire sans changer toute l'histoire? La Théorie du Chaos ne dit-elle pas que le battement d'ailes d'un papillon en Amazonie peut causer un houracan dans les Caraïbes ou un typhon en Mer de Chine? Ceci est en réalité une exagération. Cela pourrait arriver, mais seulement si les conditions initiales sont favorables à ce dénouement. Cela est le principe fondamental de la Théorie du Chaos: tout dépend des conditions initiales. Cela vaut autant pour l'Histoire que pour la météorologie, comme nous le savons aujourd'hui. Avec le climat, nous avons réussi peu à peu à contrôler les conditions initiales, ce qui nous permet de le dominer de mieux en mieux. Mais nous ne pouvons dominer les conditions initiales de l'Histoire. Donc, beaucoup d'actions n'auront aucun effet ni à moyen ni à long terme. Mais d'autres pourraient rencontrer des conditions initales favorables inattendues, méconnues par nous, ce qui est un réel danger. Mais un danger seulement théorique. En réalité, il ne peut arriver auncun effet qui change l'Histoire à long terme. Car, s'il arrive, nous ne serions pas ici, nous ne discuterions pas ce point, nous n'aurions pas de collisioneur et personne ne voyagerait dans le passé pour causer ce changement. Voilà le paradoxe. En réalité, l'Histoire se protège elle-même, au moins dans les macro-processus. Ce que l'Agence étudiera, c'est ce qui arrive dans les micro-processus. Nous ne savons pas si les "défenses" sont les mêmes. Nous savons déjà que nous pouvons aller et revenir, sans conséquences négatives pour le voyageur. Mais que pouvons-nous faire réellement? Seulement observer? Éviter des actes pernicieux ou réduire leurs effets? Accélérer des processus bénéfiques? Voilà les questions qui devront guider nos expériences.

4. Vérifications expérimentales (Conditions de base du voyage)

Alors que les ingénieurs faisaient les calculs et essayaient de déduire comment s'était produit le premier "voyage" et comment le reproduire, nous faisions aussi face à un autre problème: que se passerait-il si le voyageur "aterrissait" dans le passé sous terre, sans espace pour con corps? Il mourrait suffoqué? Nous avons alors cherché dans les archives à quoi correspondait l'endroit où était le bureau du disparu. Et nous avons pu vérifier que, il y a cent ans, il existait là un tunnel et une espèce de grotte et qu'on en avait profité pour installer le bureau de contrôle. Les grottes naturelles vides étaient les meilleurs endroits pour installer des équipement de détection de muons. Et le CERN avait fait une étude géologique de la zone et découvert cette grotte, qui avait au moins cent mille ans d'existence. De plus, elle avait aussi une sortie naturelle, à un kilomètre de distance, seulement couverte en partie par un peu de terre et quelques arbustes, et une petite cheminée qui permettait l'entrée d'air. La sortie serait donc facile à ouvrir si quelqu'un "aterrissait" là. Nous pouvions donc utiliser le bureau comme "chambre de transport" en toute sécurité.

L'arrivée dans le futur pouvait présenter un autre problème: on pouvait assurer l'existence de l'Agence à moyen terme. Mais, peut-être, à un autre moment de l'avenir, elle pourrait ne plus exister. Si le collisioneur ou une autre machine avec les mêmes fonctions n'existait plus, notre agent ne pourrait pas revenir. Avancer dans le passé signifiait donc aussi un risque de ne pouvoir revenir et, de ce fait, nos agents devraient être non seulement des historiens experts dans l'époque visitée mais aussi des volontaires disposés à ne pas revenir.

Pendant que les historiens engagés pour explorer le passé pour y chercher des périodes et faits intéressants pour les projets futurs, nous envoyâmes des volontaires à de courts intervales de distance temporelle pour afiner les procédés et observer les conditions du voyage. Au début, on ne leur permit pas de sortir de la grotte où ils arrivaient dans le passé. Ensuite on leur permit de sortir observer brièvement les environs, puis de s'approcher des anciennes installations du CERN à Meyrin, et enfin d'aller à Genève, mais en évitant tout contact. Des suites des autres activités du CERN, les voyages étaient peu fréquents. Ils ne furent pas plus de cinq au cours de la première année d'expériences.

La première mission d'un peu plus d'extension que nous avons planifiée avec un objectif précis fut l'assistance à l'inauguration de l'Agence du Temps, il y a un siècle. Nous en savions évidemment la date et nous connaissions le programme officiel, mais nous n'avions pas de détails au sujet de l'ouverture au public, de ce qui pouvait être visité et du type d'information qui était donnée. Ce fut ce dont nous avons chargé l'un des nôtres. Nous avions dans notre musée quelques coupe-files utilisés à cette époque et nous lui en avons donné un. Mais notre calcul de projection dans le temps ne fut pas assez précis.

Comme il nous raconta au retour, à la fin du même jour, il était arrivé deux jours après l'inauguration. Il entra comme n'importe quel visiteur et on le fit passer dans la salle où tous pouvaient observer, sur des téléviseurs, les pronostics du temps pour tous les continents, ou bien s'installer dans une station de consultation interactive où l'on pouvait obtenir des informations sur les stations de mesure du climat et voir une description des procédés utilisés. Il voulut alors utiliser son coupe-file pour visiter le reste du bâtiment. Il passa grâce à lui le premier contrôle d'accès mais, en parcourant le couloir principal, il vit -en observant d'autres fonctionnaires- qu'avant d'entrer dans plusieurs dépendances ou de prendre un ascenseur, il fallait approcher un oeil d'un petit appareil. Il ne savait pas ce dont il s'agissait. Il approcha son oeil et, inmédiatement, une alarme sonna et deux gardes s'approchèrent de lui. Ils lui demandèrent son identification et il leur montra son coupe-file. Il le menèrent alors à un petit bureau et passèrent la carte par un autre lecteur, qui la valida à nouveau. On lui demanda alors d'approcher à nouveau son oeil d'un détecteur et l'appareil montra un message d'erreur. On lui dit alors qu'il n'était pas le propriétaire légitime du coupe-file, que son oeil le trahissait. Notre homme ne savait rien sur les mesures de sécurité de cette époque et nos registres ne rapporaient pas l'emploi de lecteurs d'iris. Aujourd'hui on utilise la reconnaissance inmédiate de l'ADN. Il fut remis à la police, accusé de soustraction d'identité. On lui demanda son nom et un document d'identité authentique, mais il ne portait aucun autre document de l'époque et il n'aurait servi de rien de donner un autre nom que celui associé au coupe-file. Il insista donc sur le même nom. On lui photographia l'iris et on prit ses empreintes digitales avec l'intention de rechercher son identité réelle. L'interrogatoire porta sur ses intentions et il expliqua qu'une autorité l'avait chargé de parcourrir l'Agence pour vérifier ses mesures de sécurité. Il donna le nom du premier directeur et on lui dit qu'on allait vérifier. Il fut enfermé, seul, dans le petite salle d'interrogatoire, moment dont il profita pour disparaître en se faisant transporter de retour.

Les calculs et expériences postérieures -qui prirent toute l'année 2240- permirent d'établir les paramètres pour mieux contrôler le flux de muons et déterminer, avec une marge inférieure à une semaine, la date à laquelle on pouvait envoyer le "voyageur". C'est alors que le CERN réalisa le premier rapport qui fut remis confidentiellement aux autorités supérieures de l'Union Européenne. Et ce qui porta à créer la Section Historique de l'Agence du Temps et à rédiger le premier règlement pour les voyages dans le Temps.

13/06/2012

Agence du Temps 3.2


Suite du document du CERN: 3. Bases théoriques

3.1 La mathématique du chaos
Il est normal de se demander ce que la mathématique a à voir en même temps avec le climat et avec le voyage dans le temps. C'est bien plus que ce qu'il semble à première vue. Il se fait qu'on a découvert que le temps, ou plutôt l'Histoire, es une fonction presque chaotique ou, comme disent les experts, une fonction "à la frontière du chaos". Elle tend toujours au désordre mais, quand elle est sur le point de tomber dans un désordre complet, comme pour le climat, il y a une sorte de saut et surgit un ordre nouveau. C'est ce qui explique depuis la montée et la chute des civilisations jusqu'aux grandes guerres et révolutions. La première hypothèse de ce phénomène, confirmée par le calcul il y a déjà une cinquantaine d'années, a été exposée par le sociologue Pitirim Sorokin au XX°Siècle [voir "Society, culture and personality", Ed.Harper & Brothers, Nueva York, 1962]: les cultures se succèdent et passent par trois phases: une première où se développe le sacré et le pouvoir de la religion, mais peu à peu la science gagne en importance et cette culture arrive à son sommet (deuxième étape), pour ensuite donner lieu au développement de la technologie et -avec elle- les facteurs économiques gagnent en importance, remplaçant les valeurs de la religion et réduisant peu à peu l'importance de la science, ce qui mène la culture à la déclinaison et, éventuellement, à sa disparition, remplacée par une autre, qui a commencé un cycle semblable et a acquis une force suffisante pour dominer l'antérieure. Ainsi se forment des vagues qui se succèdent les une aux autres.

Mais depuis lors, et grâce à la mathématique du chaos, nous avons appris que ce même phénomène arrive aussi à une échelle plus réduite: toute grande vague est le produit de successives vagues mineures qui se succèdent tant dans une même zone ou se forment en parallèle dans des zones voisines. Ce sont comme les bulles qui forment les bords du fameux Ensemble de Mandelbrot, la première démonstration graphique de la reproduction de l'ordre dans un ensemble qui parait chaotique.

3.2. Physique quantique
Seule la physique quantique permet d'expliquer comment il est possible de voyager vers le passé et l'avenir en même temps, bien que nous ne disposons pas encore d'une explication pour l'effet des muons -ou un autre élément que nous ne connaissons pas- scindent et déplacent ainsi les quantons qui se trouvent sur leur chemin. Les muons sont des particules cosmiques minuscules capables de traverser la matière sans y laisser de trace ni rien détruire, et si rares que -selon la théorie- il n'en passe qu'une par centimètre carré y par mille ans. En quoi et comment elles peuvent affecter les quantons de la matière commune à plus grande concentration, nous ne le savons pas.

Mais, comme nous avons découvert expérimentalement, lorsque nous envoyons un homme vers le passé avec le producteur de muons, il se créent deux versions en mirroir des quantons dont il est formé au niveau sous-atomique: alors que l'une va vers le passé, l'autre voyage la même quantité d'années vers l'avenir. L'expérience montre que la copie qui commende le retour est l'image future, car c'est là qu'on dispose du collisioneur avec inversion de flux ou un appareil amélioré qui accomplit la même fonction. L'homme du passé ne peut revenir de lui-même: il n'a pas de machine pour cela. Mais, en réalité, il n'en a pas besoin. Comme le flux de muons inverti va dans les deux directions, il est réintégré en totalité dans le présent, d'accord avec la théoie quantique.

Cependant, c'est la mission dans le passé qui importe. L'agent de l'avenir ne peut rien faire d'autre qu'attendre le moment du retour. Comme il participe pleinement de l'information que domine sa copie dans le passé, grâce à l'enlacement quantique, c'est celle-çi qui demande l'activation du retour. Tout ce que sait l'un, le sait l'autre, instantanément. Malgré cela, comme nous l'avons vérifié, il ne peut rien nous ramener de l'avenir car, sans doute, au retour, l'avenir n'existe pas encore. Il n'y a rien à raconter; les éventuels souvenirs s'évanouissent à l'instant, sauf l'effet de dédoublement. Et nous ne connaissons le procédé de retour que de façon théorique, parce que le voyageur revient effectivement. Le jour où l'agent ne reviendra pas, cela signifiera qu'il n'y a plus de machine ou qu'on l'a tué dans l'avenir, chose qu'avec beaucoup de chance on pourrait peut-être vérifier en étudiant le passé, si son existence -et sa disparition- a été enregistrée en ce temps. Nous n'attendons aucune mort dans le passé car, sauf accident imprévisible, il pourrait toujours ordonner son retour.
*
Arrivé ici, Trompel arrêta sa lecture. Comme journaliste qu'il avait été avant d'entrer à la police, il avait couvert quelques nouvelles scientifiques, mais il se déclarait totalement ignorant en matière de physique quantique. Il savait seulement que celle-çi s'éloignait considérablement de la physique classique et qu'il n'était pas facile de la comprendre. Ce qu'il lisait pouvait être réel ou bien il s'agissait d'une invention imaginaire? Il aurait aimé de le savoir et, pour cette raison, il décida de faire une petite promenade à la plus grande librairie de Bruxelles, la FNAC, au centre commercial City2. Il pensait qu'il y trouverait peut-être un livre de vulgarisation. Sinon, il devrait aller à la Bibliothèque Nationale, où il craignait ne trouver que des oeuvres pour experts.

A la FNAC, au dernier étage du City2, il se rendit au rayon des sciences, cherchant les livres de physique. Il trouva plusieurs titres qui traitaient de quantique et se demanda lequel serait suffisemment simple pour qu'un policier-journaliste comme lui puisse le comprendre. Il commençait à regarder le contenu des livres, l'un après l'autre, quand une femme s'approcha de lui et le questionna: 
- Interessé par la physique quantique?
- Seulement désireux d'éclairer quelques concepts!
- Si vous n'êtes pas physicien ou expert en mathématiques, vous n'avez pas beaucoup de choix.
- Je ne suis ni l'un ni l'autre. Je suis journaliste et plutôt consacré à la chronique rouge actuellement.  (Il préférait éviter de se présenter comme policier quand cela n'était pas nécessaire, pour établir de meilleures relations).
- Alors votre intérêt pour la physique quantique me semble un peu bizarre. Vous avez vu un mort qui pourrait avoir été assassiné par un quanton perdu?
- Dit comme cela, cela parait une blague. Mais, effectivement, j'étudie un cas où la victime semble avoir une relation avec des recherches en physique quantique, une discipline de laquelle je ne sais rien mais qui pourrait jouer un rôle important dans cette affaire. Vous vous y entendez, vous?
- Je suis des cours de licence en physique et, bien que les postulats de la quantique semblent incroyables, oui, je crois y comprendre quelque chose.
- Et vous pouvez me recommender un livre?
- Je n'en vois qu'un. L'ABC pour tous les amateurs: "Le cantique des quantiques". Il est dans ce rayon. Je crois que vous le comprendrez ou, au moins, vous saurez ce que nous croyons comprendre. Est-ce que vous êtes intéressé par la disparition du scénariste des "Courbes du Temps", par hasard?
- Qu'est-ce qui vous fait croire cela?
- A ce que je sais, c'est le seul cas actuel de connotation publique qui pourrait intéresser un journaliste et qui a quelque chose à voir avec la quantique. Tout ne se base pas sur le voyage dans le temps et une explication quantique assez douteuse de ce dernier?
- Vous donnez dans le mille. Mais je ne sais pas si la quantique n'est qu'un argument fictif de la série ou s'il y a d'autres implications. J'espère que le livre m'apporte quelques lumières.
- S'il ne le fait pas, je pourrais peut-être vous aider. Il pourrait vous être plus utile de poser des questions et qu'un expert vous réponde. Mon nom est Irène Moulins.
- Merci, mademoiselle. Mais je crois que je dois d'abord lire ce livre, pour savoir quelles questions poser.
- Alors, annotez mon téléphone. Vous pouvez m'appeler quand vous voudrez, de préférence après 7 heures du soir, en tous cas, sans quoi je pourrais être en classe... ou visitant une librairie.

Elle lui dicta son numéro, puis ils se séparèrent. Trompel porta le livre à la caisse et le paya. Ensuite, il s'en fut à son bureau. Bien qu'il comprit un peu plus de quoi il s'agissait et, surtout, ce que la quantique avait d'étrange, il ne comprit pas du tout pourquoi cette physique pouvait être la base de la "réversibilité du temps" qui, comme il put lire, avait été proposée déjà en 1947 par Oliver Costa de Beauregard, bien que Luis de Broglie la qualifia inmédiatement d'"insensée".

05/06/2012

Agence du Temps 3.1

Chapitre 3. L'Agence

Quand Trompel ouvrit le gros texte qu'ils avaient trouvé dans l'appartement de Gossin, il se demanda si ce qu'il lisait était une partie du scénario ou bien un roman de science fiction. Voici le texte.


2240 CERN - Projet de Section Historique - Confidentiel

1. Antécédents

Le 11 septembre 2239 fut mis en marche pour la première fois une nouvelle boucle, plus grande et plus puissante, du grand collisioneur d'hadrons. On avait travaillé plusieurs années pour l'ajouter, dans les immenses souterrains longs de kilomètres qui passaient sous la frontière entre la Suisse et la France. Les nouveaux aimants destinés à profiter de ce circuit étaient à point ainsi que les nouveaux générateurs d'énergie, ce qui permit d'allumer le système, et les particules sous-atomiques commencèrent à circuler. Quand elles furent déviées vers la nouvelle boucle, il y eut un accident. Un flux de muons s'échappa par une tangente et traversa un des petits bureaux de contrôle des aimants. L'ordinateur central détecta la fuite et éteignit le système. On découvrit alors que personne ne répondait dans le bureau proche de la fuite. Le supervisuer qui y fut envoyé ne trouva personne: l'ingénieur qui devait y être pour surveiller le sous-système de détection avait disparu. Il ne pouvait être sorti par ses propres moyens car tous les couloirs étaient surveillés par des caméras, tout comme les bureaux comme le sien. On repassa l'enregistrement correspondant et on le vit disparaître instantanément juste au moment où le flux de muons s'était échappé.

Mais le plus étrange fut qu'il reparut au même endroit deux heures plus tard. Il était complètement confondu. Il déclara qu'il s'était trouvé simultanément cent ans dans le passé et cent ans dans l'avenir. Dans l'un des deux endroits, qui ressemblait à son bureau, on lui dit qu'on l'attendait: ceux qui étaient là savaient qu'il allait apparaître et allaient le faire rentrer à son époque au moyen d'une inversion d'un flux de muons. Celui-çi, quand il s'était produit pour la première fois, l'avait fait voyager dans le temps dans deux directions opposées. Et, du futur, on l'avait renvoyé à son point de départ. Il demanda comment cela se faisait et on lui dit qu'on ne pouvait pas lui donner de détails car il était interdit d'intervenir dans le passé. Nous devrons nous-mêmes le découvrir et ils savaient que nous le fairions parce qu'ils savaient le faire grâce à notre invention. Il dut attendre un peu, pour l'activation, et on le laissa seul dans le bureau. Puis, après un moment, il reparut ici.

Il ajouta que tout, cependant, était un peu confus dans sa tête. Car, en même temps qu'il rencontrait ces personnes qui se disaient du futur, il s'était trouvé dans un tunnel vide, qui semblait récemment creusé. Comme il ne le reconnut pas et qu'il se sentait occupé avec ceux qui parlaient dans le futur, il n'avait pu explorer cela davantage.

Dans les mois suivants, le collisioneur ne s'employa que de la façon habituelle, sans utiliser la nouvelle boucle. Les ingénieurs se penchèrent sur l'étude de toutes les données enregistrées lors de l'expérience qui produisit la fuite. Les experts en physique quantique participèrent à cette analyse et considérèrent le récit du "voyageur", arrivant à la conclusion de ce que le bombardement de muons avait causé la partition des quanta qui formaient son corps, les envoyant dans deux directions opposées -comme on faisait déjà avec des photons- mais au travers du continuum temporel au lieu de l'espace. Ainsi, il eut l'expérience simultanée de deux moments différents, équidistants, dans le passé et l'avenir. Et son esprit, qui était toujours unique, enregistra les deux expériences. Quand les opérateurs du futur produisirent le courant inverse de muons, ils obtinrent la réintégration des quanta et, ainsi, le retour au moment du départ. Cette possibilité était une découverte encore plus grande que celle du voyage inicial et constituait la découverte -sensationelle- du voyage dans le temps et non seulement de sa possibilité.

2. Objectifs du projet

Dans le domaine propre de recherche du CERN, la découverte antérieure obligeait à considérer les objectifs suivants:
1. Développer les mécanismes et procédés qui permettraient d'invertir l'opération d'"envoi" dans la dimension temporelle, pour récupérer le sujet déplacé;
2. Étudier et développer une théorie qui permette d'expliquer de quelle façon le flux de muons affecte la matière ordinaire au niveau quantique et son état temporel.

Dans un autre domaine -qui échappe aux fonctions propres et aux objectifs assignés au CERN depuis sa fondation-, il faudrait considérer que l'équipement pourrait être utilisé pour remplir des fonctions innovatrices en matière de recherche historique. Un premier comité, réuni d'urgence, avec la présence d'historiens hautement qualifiés, a proposé les objectifs suivants dans ce domaine:
3. Sélectionner les dates qui, pour des raisons de manque actuel d'information, seraient d'intérêt spécial pour une observation sur place, dans l'unique d'objet d'améliorer les connaissances historiques, et
4. Étudier aussi les faits qui pourraient servir à une expérience d'action modificatrice à court terme ou qui, à la distance, pourrait paraître comme ayant été le fruit d'une intervention de ce type.

La réalisation d'actions conformes avec ces objectifs resta soumise à la confirmation des bases scientifiques et expérimentales qui confirmeraient la sécurité de telles actions, éléments qui se précisent à continuation.

(Suite du document la semaine prochaine)