(Suite de la représentation du meurtre d'Osiris)
Ma dame Lostris, quand je la conduisit à la scène, regarda à peine les désagréables taches qui restaient sur les pierres. Je la mis à sa place et j'arrangeai les torches pour la lumière lui face bénéfice. Bien que j'étais habitué à la voir, sa beauté me produisit un noeud dans la gorge et me remplit les yeux de larmes. Je la laissai cachée par un rideau de toile et je sortis face au public. Tous, depuis le pharaon jusqu'au dernier vassail, étaient captivés par ma voix quand ma prose suave décrivit le tristesse d'Isis et de sa soeur Nephtalys pour la mort d'Osiris. Quand je descendis de la scène et le rideau se leva montrant la figure apeinée d'Isis, l'audience lança une exclamation au vu de sa beauté. Après l'horreur et le sang du premier acte, la présence de ma dame était terriblement touchante.
Isis commença à entonner la lamentation des morts, et sa voix fascinante parcourut les ténébreux salons du temple. En bougeant la tête suivant la cadence de sa vois, la lumière des torches se reflètait sur la lune de bronze qui couronnait sa coiffure. Nephtys entra en scène et entonna un duo avec sa soeur, puis elles s'eloignèrent ensemble, prises de la main, pour chercher les morceaux disséminés du corps d'Osiris. Bien sûr, je n'avais pas mis les vrais morceaux du corps pour qu'elles les trouvent. Pendant l'intervale, mes aides les récupérèrent et, selon mes instructions, les remirent aux embaumeurs. Je payerais de mon propre pécule les funérailles de la victime. Il me semblait que c'était la moindre des choses que je pouvais faire pour compenser à cette créature infortunée la part qui me revenait de son assassinat.
Pour représenter le corps du dieu, j'avais chargé des artisans funéraires de la nécropole de me construire une magnifique reproduction d'Osiris en carton avec tout le gala royal et, dans la posture de la mort, avec les bras croisés sur la poitrine. Puis j'avais coupé l'image en treize morceaux qui s'unissaient à la perfection, comme les cubes enfantins. Pendant que les soeurs recueillaient ces morceaux, elles entonaient des louanges pour les diverses pièces: ses mains et ses pieds, ses jambes et son tronc, et enfine sa tête divine. Quand, enfin, elle complétèrent le corps d'Osiris, avec l'exception du talisment manquant, elles se demandèrent à voix haute comment le rendre à la vie.
- Il n'existe qu'une manière de rendre la vie à notre frère et seigneur aimé. -Je mis les paroles dans la bouche de la déesse Nephtys.- L'une de nous doit réaliser l'acte de la génération de son corps morcelé, pour qu'il soit de nouveau entier et récupère l'étincelle de vie. [...]
À mon signal, le rideau tomba et la dame Lostris abandonna rapidement la scène. Sa place fut occupée par une des courtisanes les plus distinguées, qui vendait en général ses faveurs au palais de l'amour proche du port. [...] Quant la déesse substituée occupa sa place, on alluma les torches de la partie postérieure de la scène pour jeter son ombre sur le rideau blanc. La femme commença à se dénuder de la façon la plus provocative. [...] Pendant que ma dame Lostris prononçait ses paroles sur un côté de la scène, l'ombre de son alter ego s'inclinait sur la figure momifiée d'Osiris et faisait une série de gestes mystiques.
- Mon cher frère, par les étranges et merveilleux pouvoirs qui me furent concédés par notre père Amon-Râ, je te rend ces parties viiriles que le cruel Seth t'a arrachées avec tant de cruauté -entonna ma dame.
J'avais équipé la figure d'Osiris d'un artefact que l'on pouvait élever en tirant d'un fin fil qui, partant de son corps, passait par une poulie accrochée au toit du temple et qui arrivait à mes mains. Aux paroles d'Isis, le fallus de bois de la longeur de mon bras s'éleva avec une splendeur majestueuse, en complète érection. Quand Isis le caressa, je tirai du fil obtenant qu'il se secoue. Le public en jouit, mais jouit encore plus du moment où la déesse monta sur le corps du dieu. [...] Quand arriva le moment crucial de l'exhibition, les torches s'éteignirent et le temple s'enfonça dans l'obscurité. A ce moment, je refis la substitution des personnages et quand les entorches se rallumèrent, ma dame Lostris se trouvait debout au centre de la scène avec un enfant nouveau né dans les bras. Une des esclaves de la cuisine avait été suffisemment considérée pour accoucher quelques jours auparavent et je lui avais demandé son rejeton à prêter pour l'occasion.
- Je vous présente le fils nouveau né d'Osiris, dieu de l'autre monde, et d'Isis, déesse de la lune et des étoiles... Saluez le jeune Horus, dieu du vent et du ciel, faucon des étoiles! " (Traduit et résumé de Wilbur Smith: "Río Sagrado", pp.115-127)