Le second texte, très bref, avait été écrit par Kaminsky et était le suivant:
Les "Mystères d'Osiris" se célébraient à Abydos et étaient l'une des fêtes les plus importantes du Moyen Empire; elle consistait en une conmémoration de la mortt, de l'enterrement et de la résurrection d'Osiris, avec la promesse de vie éternelle pour les assistants et leurs défunts. Elle se composait de cinq parties, différents jours:
- la procession des prêtres, qui culminait avec un combat contre les ennemis d'Osiris, comme symbolisme de l'expulsion des forces du chaos;
- la procession funéraire d'Osiris par la nécropole d'Abydos;
- le voyage en barque du dieu jusqu'à Poker, où était sa tombe mythologique (celle qui fut du pharaon Dyer);
- la nuit de vigile du défunt Osiris, avec sa postérieure régénération, transfiguration en esprit et couronnement (c'est la partie la moins connue et la plus secrète);
- le retour heureux de l'image du dieu au temple d'Abydos, dans l'allégresse générale.
Le troisième document se référait au "Festival d'Osiris" et avait une note préliminaire ajoutée par le professeur:
- Ceci est un récit de ce qui arrivait, peut-être, durant la nuit de vigile, pendant la partie secrète du rituel, en présence seulement du pharaon -qui était le pontife suprême-, de sa femme, du grand vizir et de tous les prêtres du temple. Ce n'est pas un récit "oficiel": c'est une adaptation que Wilbur Smith a inclu dans l'un de ses romans. Si je l'ai choisi, c'est parce qu'il suit d'assez près ce qui apparaît dans un papyrus découvert il y a peu mais dont l'authenticité n'est pas assurée, et qui inclut une partie sanglante qui n'apparait pas dans les textes classiques. J'ai fort peur qu'il puisse inspirer quelques fanatiques à une date aussi spéciale que celle de cette année. C'est l'écrivain qui parle:
"Sur la scène, Osiris se promenait au paradis qu'il avait créé et l'état d'âme du piblic était préparé pour le moment dramatique où apparaissait Seth avec un cri qui glassait le sang. Bien que tous s'y attendaient, la présence puissante et haïe effrya l'audience et les femmes crièrent et se voilèrent le visage mais en épiant entre leurs doigts tremblants.
- Qu'as-tu fait, mon frère? -cria Seth pris d'une furieuse jalousie-. Tu te mets au-dessus de moi? Ne suis-je pas aussi un dieu? Tu t'attribues à toi seul toute la création, de telle façon que moi, ton frère, je ne peux la partager avec toi?
Osiris lui répondit avec calme; la drogue [prise avant la représentation] lui donnait une dignité froide et lointaine.
- Notre père, Amon-Râ, nous l'a donnée à tous deux. Mais il nous a aussi donné le droit de choisir la meilleure manière d'employer notre pouvoir, pour le bien ou pour le mal.
Les paroles que j'avais mises dans la bouche du dieu résonnèrent dans le temple. C'étaient les meilleures que j'avais écrites et le public en fut fasciné. Mais seul moi, entre tous, je savais ce qui allait se passer, et la beauté et le pouvoir de ma propre oeuvre croissèrent pendant que je me préparais pour les événements.
Osiris arriva à la fin de son discours.
- Voici le monde comme je l'ai révélé. Si tu veux le partager dans la paix et l'amour fraternel, tu es le bienvenu. Mais si tu viens en son de guerre, si le mal et la haine remplissent ton coeur, je t'ordonne que tu te retires.
Il leva alors son bras droit, couvert du lin diaphane et resplendissant de sa tunique et il signala le chemin par où Sethe devait abandonner le paradis terrestre. Mais Seth baissa ses épaules velues comme un buffle et mugissa avec tant de force que la salive vola de ses lèvres et forma un nuage puant à cause de ses dents pourries. Je pus le sentir d'où je me trouvais. Ensuite, il leva sa large épée de bronze et courrut attaquer son frère. Comme cela n'avait pas été essayé avant la représentation, Osiris fut pris de surprise et resta avec le bras tendu. L'épée de Seth descendit avec force en sifflant et la main d'Osiris fut séparée de son poignet aussi proprement que la grappe de raisin que je coupais de la vigne de ma terrasse. Elle toma aux pieds d'Osiris et y resta avec les doigts encore tout tremblants.
La surprise fut si complète et l'épée si affilée que, pendant quelques instants, Osiris ne bougea pas, sauf un léger tremblement. Le public dut croire qu'il s'agissait d'un truc théâtral et que ce qui était tombé était une fausse main. Comme le sang ne jaillit pas tout de suite, ils en restèrent encore plus convaincus. Ils se montraient très intéressés mais pas alarmés, jusqu'à ce qu'Osiris lança un cri terrible et se prit le moignon par l'autre main. Ce n'est qu'alors que le sang jaillit entre ses doigts et tâchat sa tunique blance, comme si c'était du vin. Sans lâcher le moignon, Osiris traversa la scène en trébuchant et commença à crier. Ce cri, haut et clair, d'agonie mortelle brisa l'état d'âme des spectateurs et ils comprirent à ce moment qu'il ne s'agissait pas d'un trucage, adoptant un silence horrifié.
Avant qu'Osiris arrive au bord de la scène, Seth le poursuivit en sautant sur ses jambes tordues. Il attrapa le moignon et en tira pour qu'Osiris revienne au centre de la scène, où le jetta tout de son long sur le sol de pierre. La couronne de fer blanc de la tête d'Osiris tomba et ses cheveux noirs couvrirent ses épaules pendant qu'il restait couché dans une flaque grandissante faite de son propre sang.
- Par pitié, pardonne-moi la vie! -cria Osiris, et Seth lança un gros rire. Ce fut un rugissement d'authentique diversion. Rasfer [l'acteur] s'était transformé en Seth, et Seth s'amusait énormément. Ce rire sauvage réveilla le public et le sortit des transes où il était tombé. Cependant, l'illusion était complète. Il ne croyait plus voir une oeuvre de théâtre: ce spectacle horrible s'était converti pour eux en réalité. Les femmes criaient et les hommes rigissaient de furie en voyant l'assassinat de leur dieu.
- Ne le tues pas! Ne tues pas le grand dieu Osiris! -criaient-ils, mais aucun ne se leva de son siège ni courrut à la scène pour essayer d'empêcher que la tragédie continue. Ils savaient que les luttes et les passions des dieux étaient au-delà de l'influence des mortels.
Osiris tendit le bras sain et avec la main qui lui restait attrapa les jambes de Seth. Sans laisser de rire, Seth lui prit le poignet, lui tira le bras en l'inspectant comme le ferait le boucher avec le cou de la chèvre avant de le sectionner.
- Coupes-le! -cria quelqu'un dans la multitude, une voix ivre de sang. L'état d'esprit du public avait changé à nouveau.
- Tues-le! -cria un autre.
J'ai toujours été préoccupé par la façon que le sang et la mort affectent jusqu'aux hommes les plus paisibles. Moi-même j'étais excité par cette scène terrible, malade et horrifié, c'est vrai, mais intérieurement fervorisé par une excitation maladive.
Avec un nouveau coup de son épée, Seth coupa le bras et Osiris toma en arrière, laissant le membre dans les mins sanglantes de Seth. Il essayait de se mettre debout mais n'avait plus de mains pour s'appuyer. Ses jambes tremblaient de façon spasmodique et il tournait la tête de tous côtés sans arrêter de crier. J'essayai de m'obliger à ne pas regarder mais je ne pus éloigner les yeux de la scène. Seth divisa le bras en trois morceaux, le coupant à la hauteur du poignet et du coude. Et, un à un, il lança les morceaux dans le public. Pendant que les fragments tournaient en l'air, ils moullaient de gouttes de couleur rubi ceux qui étaient en-dessous. Les spectateurs rugissaient comme les lions du jardin zoologique du pharaon à l'heure de manger et levaient les mains pour attraper ces reliques sacrées de leur dieu. Seth continuait son oeuvre avec rafinement. Il amputa d'abord les pieds d'Osiris à la hauteur des chevilles. Puis les jambes, coupant les genoux et les cuisses à la hauteur des hanches. A mesure qu'il lançait les morceaux vers la populasse, celle-çi en demandait plus.
Alors, il finit par le décapiter, ce qui fut pour moi un soulagement. Il leva la tête par les cheveux pour que la multitude puisse l'admirer. Même à ce moment, les yeux du pauvre être tournaient follement dans leurs orbites, contemplant le monde pour la dernière fois. Ces yeux, enfin, se ternirent, et Seth jetta la tête au public. Ainsi prit fin le premier acte de notre oeuvre, avec des applaudissements tonitruants qui menaçaient de faire trembler les murs de pierre du temple. Pendant l'intervale, mes esclaves nettoyèrent la scène, éliminant les vestiges évident de la boucherie qui venait d'avoir lieu. [...]