9.
Le même jour, Mousin entendit sonner son téléphone.
- Monsieur Mousin, vous avez tenté de nous tromper. Vous avez injecté un flaireur dans le logiciel que vous nous avez fait décharger. C'était une mauvaise idée. Vous auriez dû penser que nous ne sommes pas bêtes. Nous avons les meilleurs ingénieurs et la première chose qu'ils ont fait a été de filtrer le programme pour y chercher un virus ou une séquence espion. Le nettoyer sans causer de dommage serait fort difficile pour qui ne le connait pas à fond. Donc, si vous voulez revoir votre fille, vous devrez nous donner une copie propre. Si cette fois çi elle ne fonctionne pas correctement, vous ne la reverrez pas.
Mousin envoya de nouveau le message à Franquin par le réseau interne, le mettant au courant.
- Je ne crois pas qu'ils aient tout découvert. Nous avons mis des instructions d'espionage à plusieurs niveaux. Un flaireur simple est en effet facile à détecter et nous nous attendions à ce que cela puisse arriver, mais aussi à ce qu'ils puissent l'annuler facilement. Il semble qu'ils n'ont pas été capables de faire l'ingénieurie inverse nécessaire pour cela. La deuxième trappe est imperceptible, parce qu'elle est dans le système de contrôle des périphériques, sans lesquels il est impossible que le système fonctionne. Dans ce cas, la connection à un autre ordinateur est détectée car il y a échange de messages d'état et ce dernier interprétera le message comme un courriel qui doit être renvoyé à un serveur anonyme, d'où nous l'obtiendrons. Même s'ils le découvrent, ils ne pourront pas le comprendre car il sera encrypté et il leur sera impossible de savoir d'où il vient et où il va. Le troisième niveau correspond à la copie et conservation de sécurité des données légitimes produites par l'utilisation. Même s'ils détectent ces deux choses, ce sera bien après la mise en marche et après que ma fille soit libérée. Ce sera trop tard pour eux, car le logiciel leur aura donné l'impression de fonctionner normalement. Je leur ai répondu qu'il me fallait attendre la nuit pour pouvoir mettre une autre copie à leur disposition. Ils savent que je ne suis pas membre de l'équipe et qu'il m'est difficile de produire une copie sans faire sonner une alarme. J'ai la liste des lignes à supprimer et il me sera facile de le faire sans toucher les autres trappes. Ils la déchargeront sûrement en fin de nuit et la vérifieront peu après, avant de libérer ma fille. Si leurs ordinateurs sont en ligne, de quelque façon que ce soit, nous recevrons un message; j'ai un canal de réception ouvert et une alarme sonnera. Comme ils emploient le courriel, je suis sûr que cela devra arriver. Ce que je ne sais pas, c'est combien de temps ils prendront pour tout vérifier et produire, éventuellement, des résultats qu'ils ne pourraient lire que sur un autre ordinateur et avec une copie qui nous serait envoyée.
Franquin réexpédiat le message à Servais. Celui-çi demanda:
- Avec les messages attendus, il n'est pas possible de savoir où sont les séquestreurs?
- J'en doute. Nous pourrions savoir où se trouve le superordinateur, mais il pourrait être en Chine ou au Kasakstan. La fille doit être plus près. Nous n'avons aucune possibilité d'accéder à leurs communications avec les rapteurs.
- Mais nous, nous interceptons le téléphone de Mousin. Nos techniciens doivent déjà avoir fixé l'origine de cet appel.
- Espérons-le, comissaire!
Servais appela alors les détectives chargés des écoutes.
- Le téléphone utilisé est un GSM d'une compagnie étrangère. Il n'y a pas moyen d'en connaître le propriétaire, mais nous avons le numéro.
- Vous n'avez pas pu déterminer sa localisation?
- Pas avec précision. Il était près de la station-base de Bütgenbach, et une station-base GSM urbaine a un rayon de couverture de plusieurs centaines de mètres. C'est pratiquement tout le village. Nous devrions nous installer là-bas avec trois postes directionnels pour trianguler la position exacte et l'appel devrait durer au moins deux minutes. Mais, avec un GSM, ils pourraient appeler d'autre part, passant par une autre antenne, et nous les capterions pas.
- Bien. Merci. Je vais voir comment poursuivre avec cette opération.
Trompel, qui avait été envoyé à Rixensart, trouva l'"étudiante" chez ses parents. Il l'arrêta et l'amena à la centrale de la PJ, commençant son interrogatoire dans le véhicule de la PJ. Le jeune homme ne se fit pas prier.
- Ils m'ont engagé pour obtenir le plus d'information possible sur ce logiciel. En m'offrant pour les tests, je pouvais connaître les procédés d'obtention de données, un peu comme le mode d'emploi. Je reconnais que c'est proche de l'espionage industriel, mais Franquin devait savoir que cela pouvait se filtrer.
- Et vous avez signé un accord de confidencialité avec l'université, n'est-ce pas? Vous saviez d'avance que vous alliez le violer et, de plus, vous avez caché votre véritable identité et profession et vous vous êtes déguisé. Vous avez dû avoir de l'aide pour cela, ou bien vous êtes aussi un falsificateur?
- Ils m'ont fait parvenir la carte d'étudiant, avec un premier payement, une "avance pour me motiver", m'ont-ils dit. Comme j'étais sans travail, vu le montant, c'était irrésistible.
- Un chèque ou de l'effectif?
- Cinquante mille euros en billets.
Trompel siffla.
- Et comment vous communiquez-vous avec vos patrons?
- J'ai seulement un numéro de téléphone pour cas d'urgence et une adresse de courriel pour l'envoi d'information.
- Il me faut les deux. Vous avez téléphoné quelque fois?
- Seulement quand j'ai su l'accident et que Franquin était dans le coma. Je les ai averti.
- Et qu'avez-vous entendu.
- Une voix à l'accent allemand. Et de la musique, comme d'un autre téléphone, parce qu'elle a été très brève.
- Quelle musique?
- Le début de la Cinquième Symphonie de Beethoven, la "V".
- Et comment avez-vous su que Franquin était dans le coma?
- Je me suis rendu amis d'un autre étudiant qui participait au projet MEMO et qui étudiait ingénieurie. Il visite régulièrement le laboratoire d'informatique et il a entendu là qu'il s'était passé quelque chose et que les test étaient arrêtés depuis la mort de Brasseur parce que le professeur Franquin était dans le coma.
Trompel transmit cette information à son chef, dès qu'il eut mis Ronstadt en garde à vue. Servais vérifia quelques données et les commenta à son subordonné.
- Le numéro de téléphone n'est pas le même que nous avons détecté lors de l'écoute de Mousin. Il semble donc qu'il y ait plusieurs intermédiaires, avec différentes tâches.
- Et qu'en est-il du courriel?
- Le domaine IP appartient à la compagnie Globalteck que nous a indiqué Franquin, et est confirmé par Ronstadt. Selon WhoIS, la résidence associée est de Bulgarie. Il sera difficile d'obtenir quelque chose de là-bas.
- Et que savons-nous de Ronstadt? Une ascendance allemande?
- En effet. Ses parents sont venus de l'Allemagne de l'Est, à la fin de la guerre.
- Ainsi qu'ils peuvent avoir encore des contacts là-bas. Ou même avoir opéré pour les services d'espionage. Bien que cela ne nous intéresse pas, cela pourrait expliquer comment ils ont contacté Kurt.
- Son contact avait un accent allemand. Ils auraient pu parler cette langue.
- Le contact pouvait ne pas savoir cela. Il peut être un intermédiaire ou même un des séquestreurs, et avoir été engagé seulement pour cette opération, avec un minimum d'information et d'instructions.
- Et le téléphone d'où ils appellent Mousin a été utilisé à Bütgenbach: c'est dans une des communes de langue allemande, près de la frontière. Ainsi, si nous recroisons les pistes, nous pourrions déduire que les rapteurs pourraient être en Allemagne, au service de Globalteck, laquelle est enregistrée en Bulgarie.
- Je demanderai à Interpol si cette entreprise leur est connue. Essaye de savoir de qui est le téléphone auquel pouvait appeler Ronstadt.