29/05/2012
Agence du Temps 2.3
De retour à Brxelles, Trompel passa informer Servais.
- Je vais envoyer une demande d'information à la police suisse -dit ce dernier- et je joindrai la photo. S'il est venu de Suisse, il peut y être retourné sans pouvoir revenir ici à temps pour son rendez-vous à la RTB. Tâchez de savoir s'il a pris un billet du TGV d'Italie, qui traverse la Suisse, ou à une ligne aérienne qui va à Zürich ou Genève. Il peut avoir voyagé d'une autre façon, mais nous ne perdons rien à vérifier les avions et le TGV, oû il doit donner son nom. Après cela, mettez-vous à lire les papiers que nous avons trouvé dans son appartement. Je n'ai pas le temps pour cela. Comme ce sont les seuls documents qu'il gardait, ils contiennent peut-être une piste quelque part. Les techniciens n'ont rien trouvé dans son ordinateur: c'est un modèle léger, sans disque dur, mais avec un lecteur-graveur de DVD, ce qui est peu courant. Et il charge le système d'exploitation et les applications à partir de disques. Nous y avons trouvé le disque de système, mais rien d'autre. Nous n'avons donc que son texte imprimé et nous pourrions demander à la RTB les scénarios que Gossin leur a laissé.
L'inspecteur emporta donc le texte et commença par les appels téléphoniques aux bureaux du TGV puis aux lignes aériennes qui désservaient la Suisse, mais sans résultat. Il se mit donc ensuite à lire les papiers.
Le jour suivant, Servais reçut le rapport technique de la révision complète de l'appartement de Gossin.
- Les techniciens ont trouvé deux séries d'empreintes dans l'appartement: une série doit être la sienne et aucune identité n'y correspond dans les registres auxquels nous avons accès -expliqua-t'il à Trompel après avoir lu le document-. L'autre série est d'une femme nommée Haydée Momens, qui travaille à la Bibliothèque Nationale, au Mont des Arts. J'ai un moment libre cet après-midi et j'irai la voir. Quant aux vêtements, ils n'ont rien pu trouver dans les sous-vêtements mais il y a quelque chose d'étrange dans le costume: ses fibres sont un mélange de laine avec un autre produit totalement inconnu ici. Il n'existe aucun tissu de cette composition dans le commerce et on ne connait aucune fabrique qui la produise. On a consulté un chimiste expert et il a dit qu'il n'avait jamais vu cette structure chimique et ne savait pas même comment elle pourrait être produite. Impossible de savoir d'où vient ce costume: c'est un vrai mystère!
L'après-midi, Servais trouva la bibliothécaire et, après s'être présenté, commença à l'interroger.
-Madame Momens, je sais que vous deviez connaître assez bien Jean Gossin. Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois?
- Monsieur, si vous venez me demander cela, c'est qu'il doit lui être arrivé quelque chose de grave! Je l'ai vu pour la dernière fois il y a une dizaine de jours. Que lui-es-il arrivé?
- Il ne s'est pas présenté à son rendez-vous à la RTB avant-hier et il a été reporté disparu. Nous sommes à sa recherche. Quand l'avez-vous connu?
- Il y a environ un an. Il venait fréquemment consulter des livres, surtout d'histoire mais aussi, parfois, scientifiques. Comme je m'intéresse à l'histoire de la science, nous sommes devenus amis et je l'ai visité detemps en temps à son appartement de l'avenue des Gaulois. Vous le connaissez?
- Oui, nous y sommes allé. Nous l'avons trouvé pratiquement vide. Que pouvez-vous me dire de plus de lui? D'où il venait, de sa famille?
- Il m'a parlé très peu de lui-même. Il me semble qu'il était licencié en Histoire et avait étudié un peu de physique, dans des universités belges et suisses. Il ne m'a jamais parlé de ses parents ou de sa famille. Il m'a dit qu'il avait enseigné et fait quelques recherches en Suisse mais qu'il préférait travailler ici et qu'il avait eu la chance d'être accepté à la RTB. Il était très enthousiasmé par sa série de télévision et me parlait de ce qui se passait au cours de la réalisation. Mais je ne peux rien vous dire de plus.
23/05/2012
Agence du Temps 2.2
Genève, année 2247
- Agent Gossin, vous avez été envoyé à l'année 2010 pour étudier la "Révolution des Pommes Frites" en Belgique. Mais vous y êtes resté et, selon ce que nous avons appris par la presse de l'époque, vous avez passé votre temps à faire connaître nos expériences au travers de la télévision. Cela nous a obligé a envoyer un autre agent pour arrêter ce travail et vous faire revenir.
- J'en ai eu assez de cette folie et j'avais décidé de rester là-bas et d'avertir sur le projet que vous développez ici. Je ne serais pas revenu si je n'y avais pas été obligé par la force.
- Nous ne pouvons pas permettre que notre projet et notre technologie soient connus avant que le moment soit venu. Le risque de causer des paradoxes incontrôlables est trop grand. Vous connaissiez les règles et vous serez soumis à procès.
Bruxelles, année 2003
Le jour après la visite à l'appartement de Gossin, Servais reçut le rapport de l'enquête réalisée là par la police technique: ils avaient trouvé les empreintes d'une seule personne, sans aucun doute Jean Gossin, mais ces empreintes n'étaient enregistrées dans aucun système d'identification du pays. Le comissaire chargea alors Trompel d'interroger le Registre Civil et le Service des Taxes pendant que lui retournait au canal de télévision chercher plus d'informations.
De retour à la RTB, il demanda depuis quand ils y connaissaient Gossin et tout ce qu'ils savaient de lui. La directrice lui dit qu'elle ne le connaissait que depuis qu'il s'était présenté pour offrir son projet et que tout ce qu'on savait de lui était le curriculum vitae qu'il avait présenté, à part son travail postérieur. Servais demanda à le voir. La directrice appela le chef de personnel et le fit apporter. Il y était signalé que Gossin était né en 1973 -sans dire où-, qu'il avait étudié l'Histoire à l'Université de Genève et obtenu sa licence en 1995 avec une thèse sur l'histoire de la physique moderne, puis avait enseigné "dans divers collèges privés de langue française". Cela pouvait être en Suisse, en France ou en Belgique. Il ne serait pas facile de savoir lesquels. Étaient aussi signalées diverses publications réalisées sur Internet, particulièrement des pages de la Wikipedia. Autre chose qu'il serait aussi difficile de vérifier, car ces pages ne portent pas de signature.
- Ce curriculum ne vous parut pas trop pauvre? -demanda Servais.
- Cela n'a pas beaucoup d'importance pour nous si le projet est bon. Et il gagna facilement l'approbation du comité de programmation ce qui, comme je vous l'ai dit, n'est pas facile du tout. Un scénariste génial n'a pas besoin d'un long curriculum. Il faut bien qu'il se manifeste avec une première oeuvre et cela sembla le cas. Et nous nous en félicitons, car la réponse de l'audience a été magnifique. Nous espérons vivement qu'il puisse terminer la série, puis en écrire une autre!
- Pourrais-je avoir une copie de ce currisulum?
- Je demanderai à ma secrétaire de vous le photocopier quand vous sortirez.
- Vous avez une photo de ce monsieur? Le curriculum ne la porte pas.
- Vous savez qu'il est interdit aux employeurs d'exiger une photo. Mais le departement de Production peut avoir une image qui vous sera utile: ils enregistrent toutes les étapes de la réalisation, pour en conserver l'histoire et pouvoir produire éventuellement un "Comment a été fait". Je demanderai qu'on vous donne un DVD avec ces scènes et qu'on vous y montre qui est Gossin.
- Magnifique. Et j'aimerais interroger les gens qui ont travaillé avec lui, pour voir s'ils peuvent mieux me décrire cette personne ou me donner d'autres informations utiles.
- Je vous ferai conduire au studio où on enregistre cette série.
- Merci beaucoup.
La directrice Thielemans chargea sa secrétaire de la photocopie puis acompagna Servais au set des Courbes du Temps. Le comissaire interrogea le réalisateur et le producteur -que la directrice avait fait convoquer et apporter le DVD promis-, puis les caméramen et les acteurs présents. Mais la majorité connaissaient à peine Gossin de vue et n'avaient échangé avec lui que quelques rares mots pour préciser l'un ou l'autre détail du scénario et de l'actuation. Le producteur et le réalisateur étaient les seuls qui avaient parlé fréquemment avec lui. Mais toujours dans le seul cadre de la production. Il n'avait jamais parlé de sa vie privée ni de sa famille et n'avait assisté à aucune rencontre sociale. La vie privée de Gossin restait un mystère pour Servais.
Ils mirent le DVD dans un reproducteur et montrèrent au policier la figure du disparu. Il était de haute taille, maigre et blond. Il y avait une bonne prise de vue où il apparaissait en plan américain, ce qui permettrait de capter et reproduire une bonne photo à l'usage des policiers. Si l'on ne trouvait pas d'autres données dans les registres belges ou d'autres pistes, Servais pourrait aussi la faire circuler par Interpol. Il remerçia la collaboration et emporta le matériel reçu à son bureau. En y arrivant, il passa au bureau technique où il fit mettre le DVD et signala la photo qui l'intéressait. Puis, il appela Trompel.
Celui-çi avait exploré toutes les bases de données auxquelles il pouvait accéder en ligne, mais n'avait trouvé aucun Jean Gossin vivant. Il y en avait un qui était né en 1901 à Bruxelles et y était mort en 1983. Il avait eu un fils, nommé Henri, né en 1938, qui avait demandé un passeport en 1963 et avait donc, probablement, quitté le pays cette année, à ce qu'il semblait sans y revenir, car il n'y avait plus de traces de lui plus tard. Henri avait eu une soeur, qui mourut en 1958 dans un accident. Jean Gossin avait aussi eu un frère, Armand, né en 1904, aussi à Bruxelles, qui mourut à Liège en 1978. Ce dernier avait eu aussi un fils, Georges, en 1928, mort en 2001, qui laissa une fille nommée Joséphine. C'était la seule personne de nom Gossin qui, semblait-il, vivait actuellement en Belgique. Selon le Service des Taxes, elle vivait -ou travaillait- à la rue de Sclessin, à Liège.
Ce fut ce que Trompel informa à son chef.
- Allez à Liège et interrogez la -lui ordonna Servais- et voyez si elle connait notre Jean Gossin. Il pourrait être un parent de celui qui a abandonné la Belgique.
Trompel avait vérifié où était la rue de Sclessin sur le plan de Liège et il s'en fut à la Gare Centrale, où il prit le train InterCity, un express, qui arrivait à Liège en cinquante minutes. La rue de Sclessin était à trois pâtés de maisons de la gare des Guillemins, la plus importante de la ville, et il y arriva donc en moins de dix de minutes à pied, après avoir traversé le parking devant la gare et avoir pris la rue du Paradis. A la fenêtre proche de la porte, il y avait une petite affiche qui disait "Joséphine Gossin - Voyeuse". Il sonna. Quelques secondes plus tard, une femme de petite taille, cheveux gris et visage aimable lui ouvrit la porte.
- Madame Joséphine Gossin? Je suis l'inspecteur Trompel, de la PJ -se présenta la détective, montrant son identification-. Pouvons-nous parler un moment?
- Entrez. Mais je suis demoiselle. Je n'ai pas eu la chance de capturer un mari -répondit la femme en riant-. En quoi puis-je aider la police? Je vous offre une tasse de café?
- Non, merci. Je préfère vous dire tout de suite ce qui m'amène. Est-ce que vous connaissez un tel Jean Gossin? Vous avez peut-être vu la série de télévision "Les Courbes du Temps", dont il est le scénariste. Nous sommes à sa recherche, car il a disparu.
- Ce programme me fascine en effet et le nom du scénariste a attiré mon attention car c'est le nom d'un cousin de mon grand-père. Mais je ne connais personne de ce nom aujourd'hui.
- Savez-vous quelque chose d'Henri Gossin, qui doit être votre oncle et a quitté la Belgique en 1963?
- Mon père l'a mentionné quelques fois. Il disait qu'il était allé en Suisse mais n'a jamais eu de nouvelles de lui.
- Le scénariste pourrait donc être venu de Suisse...
- Je ne peux rien vous assurer. J'ai essayé de temps à autre de contacter mentalement mon oncle, mais je n'y ai pas réussi. Si vous avez une photo de Jean Gossin, je pourrais tenter de vous aider. J'ai parfois été utile à la police de Liège.
- Nous avons une photo à Bruxelles. Je peux demander à mon chef de vous en envoyer une copie -dit Trompel, qui ne croyait pas beaucoup aux "pouvoirs mentaux"-. Merci de m'avoir reçu et excusez-moi, mais nous avons beaucoup à faire. Au revoir!
Il n'avait donc pas obtenu grand chose, sauf la confirmation partielle de la piste qui pointait vers la Suisse. Ils pourraient donc demander de l'aide à la police de ce pays.
15/05/2012
Agence du Temps 2.1
Chapitre 2. Disparition
Bruxelles, année 2003
Bruxelles, année 2003
Le comissaire Servais sortit de son bureau de la Police Judiciaire et appela l'un de ses subordonnés, le jeune détective Joseph Trompel, récemment admis au service.
- Jef, venez avec moi. Nous allons à la RTB. Nous avons un nouveau cas qui va avoir pas mal de publicité.
- De quoi s'agit-il, chef?
- On vient de nous dénoncer la disparition du scénariste Jean Gossin, celui qui a créé la série "Les Courbes du Temps".
- Bien sûr cela fera de la publicité! C'est la série qui a le plus de succès en ce moment à la télévision. J'ai vu hier le quatrième épisode.
- Je n'ai pas pu le voir. Je suis sorti trop tard du bureau. J'ai vu celui de la semaine passée, sur Jeanne d'Arc. Il était bien documenté et était fort croyable.
- Je n'ai pas vu celui-là. Qu'est-ce qui s'est passé?
- On suppose que, cette fois, un agent du futur a été envoyé pour essayer de sauver Jeanne d'Arc avant qu'on ne la brûle.
- Et alors?
- L'agent est resté endormi et est arrivé trop tard. On l'avait déjà sacrifiée. Et quand il retourna à son présent, il fut jugé et dégradé. Il finit chargé du nettoyage des bureaux. Et vous devinez quelle fut sa défense?
- Qu'est-ce qu'il a dit?
- Il dit que c'était la faute de ses chefs qui lui avaient interdit d'emporter sa montre.
- Quel idiot! Comment purent-ils envoyer un type ainsi?
- Un peu faible l'argument du scénario, vous ne trouvez pas? Mais la reconstruction d'époque était formidable. Mais l'idée qu'on aurait pu sauver Jeanne d'Arc me semble une folie totale.
- Et plus encore l'explication du fracas. Comment pensaient-ils pouvoir changer l'Histoire?
- Je crois qu'ils projettaient de l'expliquer dans un chapitre futur. Ce devrait être celui qui termine la série. Mais si le scénariste n'apparait pas, il est possible que nous n'ayons jamais cette explication.
- Bon, nous arrivons. Voyons de quoi il s'agit et ce que nous pouvons faire.
L'édifice de la RTB était au boulevard Auguste Reyers. Y arriver ne leur avait pas pris plus de vingt minutes dans l'auto du service.
Ils furent reçus inmédiatement par Claudine Thielemans, la directrice de la RTB, et Pierre Reynders, le chef de programmation.
- Dites-moi ce qui c'est passé. Pourquoi déclarer que Jean Gossin a disparu? -demanda Servais.
- Il y a plusieurs jours que nous ne le voyons plus. Bien qu'il n'y est pas obligé par contrat, il assiste habituellement aux enregistrements de sa série "Les Courbes du Temps". Nous ne nous sommes pas préoccupés plus tôt parce que sa présence n'était pas indispensable. Mais hier, au plus tard, il devait apporter le scénario d'un nouveau chapitre. Et il n'est pas venu, ce qui nous a semblé plus bizarre. Aujourd'hui, non plus il n'est pas venu à l'enregistrement, et il aurait dû superviser l'édition finale du chapitre de la semaine prochaine. C'est pour cela que nous sûrs que quelque chose lui est arrivé. Et plus encore à cause des menaces qu'il a reçu à la suite du chapitre sur le roi Léopold. Les membres de la famille de Pierlot, le chef du gouvernement belge en exil à Londres, ont protesté vigoureusement contre l'accusation de ce qu'il aurait ordonné l'assassinat du roi. Nous venons de publier une déclaration soulignant que la série est de science fiction et n'a aucune prétention historique.
- Vous avez tenté de lui téléphoner?
- Bien sûr. Nous avons commencé par là. Personne de répond, pas même le répondeur automatique qu'il employait d'habitude quand il était absent. Nous avons essayé de nouveau aujourd'hui et la situation reste la même. C'est pourquoi nous avons appelé la police.
- Correct. Nous irons visiter sa demeure. Ensuite nous reviendrons ici si c'est nécessaire. Quelle est son adresse?
- C'est 19 avenue des Gaulois, à côté du Parc du Cinquentenaire.
- Je vois où c'est. J'ai habité près de là -dit Trompel.
- Avant de nous en aller: Gossin a un bureau ici? -ajouta Servais.
- Non. Il venait quand il devait assister à une réunion ou à la réalisation, mais il écrivait chez lui.
- Quand a-t'il commencé?
- Il y a presqu'un an: il nous a apporté le concept de la série et le scénario du pilote. Il dit qu'il avait projeté dix épisodes. Le comité de programmation approuva l'idée et le pilote a été réalisé à la fin de l'année passé pour son évaluation finale. Il a été approuvé et fut inclu dans le plan de cette anné. Comme vous le savez sans doute, nous avons déjà émis quatre chapitres.
- Auparavent, il n'avait jamais collaboré avec la RTB?
- Non. Nous ne le connaissions pas.
- Et vous l'avez accepté si facilement?
- Ce n'est aussi facile qu'il vous semble. Il faut un curriculum adéquat et le projet doit être très bien conçu et décrit pour que le comité de programmation l'accepte en première instance et permette la réalisation d'un chapitre pilote. Mais tout fut très convincant.
- D'accord. Nous reviendrons sur ce sujet si cela s'avère nécessaire. Maintenant, nous irons voir chez lui. Au revoir!
- Au revoir, comissaire. Nous sommes à votre disposition. Espérons que vous le trouverez car, du contrarire, nous aurions de grandes difficultés pour terminer la série. Il nous manque encore plusieurs chapitres.
Du boulevard Reyers il était très facile et rapide d'aller jusqu'à l'avenue des Gaulois. Ainsi, moins de dix minutes plus tard, ils stationnaient dans cette avenue. Le 19 était un bâtiment de trois étages avec trois petits appartements par étage. En interrogeant le concierge, ils surent qu'ils se louaient meublés par mois, principalement à des fonctionnaires des Comissions Européennes qui ne passaient là que quelques mois par an. Comme personne ne répondait dans l'appartement de Gossin, le concierge leur facilita une copie de la clé, dont il disposait pour permettre l'entrée des employés qui s'occupaient du lavage des carreaux. Il confirma qu'il n'avait plus vu Gossin depuis une semaine.
Servais et Trompel entrèrent dans l'appartement. Il y avait une petite cuisine face à la porte, dans le petit vestibule qui conduisait au living, lequel était séparé de la chambre à coucher par un rideau. L'unique porte, à part celle d'entrée, donnait dans une petite salle de bain. Tout était parfaitement ordonné. Mais l'étagère-bibliothèque était vide et le bureau semblait aussi vide, bien qu'il y avait un ordinateur portable et, en dessous, dans un tiroir, un gros texte relié avec des anneaux, apparemment produit par une imprimante d'ordinateur, avec le titre "Agence du temps - Section Historique" et un sceau marquant "Confidentiel".
Trompel alluma l'ordinateur. L'écran s'éclaira mais rien n'y apparut. Un disque ronronna puis s'arrêta. L'écran continua mi-obscur.
- On dirait qu'il n'y a rien dans le disque dur. Même pas l'interface graphique -dit-il, à l'adresse de son chef.
- Nous devrons le passer à nos techniciens, pour voir s'ils peuvent récupérer quelque chose. Nous emporterons aussi ce texte. Il me semble qu'il n'y a rien de plus, sauf un costume, deux chemises et des sous-vêtements dans la garde-robe. J'enverrai l'unité technique pour qu'ils cherchent des empreintes et emportent les vêtements pour les analyser. Mais je doute qu'il y ait eu ici l'intervention de tiers.
08/05/2012
Agence du Temps 1.3
Ainsi se termina le troisième chapitre de la série "Les Courbes du Temps", que transmettait chaque mercredi soir la Radio-Télévision Belge de langue française (RTBF). Trompel avait été attrapé par ce programme depuis le premier épisode, qui s'était référé à la bataille de Yorktown, pendant la guerre d'indépendance des États-Unis. Cette histoire contenait un mystère: qui put savoir et avait averti La Fayette de ce que lord Cornwallis avait pris position à Yorktown, alors qu'il pensait qu'il était encore dans les colonies du sud? L'épisode en donnait une explication, mais dans le registre de la science fiction. Mais cela avait fasciné Trompel, qui suivit aussi avec passion les autres épisodes, toujours étonné des détails que seuls de rares personnes pouvaient connaître.
Ce premier chapitre prétendait que c'était un agent venu du futur qui avait voyagé vers le passé et avait averti La Fayette. "Transporté" en France, il n'avait pas eu de difficulté à s'enrôler avec ceux qui partaient pour l'Amérique pour aider les partisans de l'indépendance. La Fayette, qui y était parti en 1777, était revenu avec la mission de convaincre le roi de France d'envoyer un nombreux contingent militaire pour appuyer la guerre d'indépendance livrée par George Washington. Ainsi, il retourna en Amérique en 1780, à bord de "L'Hermione", avec des renforts français entre lesquels se trouvait l'agent du Temps. Washington nomma La Fayette commandant des troupes de Virginie. Dans un autre navire voyageait l'amiral De Grasse, qui renforça les troupes américaines de New-York.
Dans le sud, les Carolines étaient occupées par les troupes anglaises à la charge de Lord Charles Cornwallis. Mais ses effectifs s'étaient vu amoindris par la campagne de Nathanael Greene, qui les avait attaqués sans répit pendant deux ans. Il dut abandonner ses positions pour se ravitailler et permettre à ses hommes de récupérer leurs forces, ce pourquoi il les conduisit en Virginie, au port de Yorktown, où il espérait recevoir du renfort de la flotte de l'amiral Clinton.
Des troupes américaines et françaises étaient arrivées à Williamsburg. Vu la date, septembre 1781, notre agent demanda à La Fayette s'il savait que Cornwallis était arrivé à Yorktown avec des troupes épuisées et qu'il y attendait du renfort. Et il suggéra qu'une attaque pourrait être menée avant l'arrivée de ces renforts. La Fayette ne confirma pas s'il le savait déjà, mais le général Washington ordonna aux troupes tant américaines que françaises de se mettre en route, arrivant à Yorktown le 28 septembre.
Il y avait d'un côté 8.000 britaniques et, de l'autre, 9.000 rebelles américains et volontaires de La Fayette, sous le commandement du colonel Armand Tuffin et de George Washington, ainsi que 5.000 hommes du corps expéditionnaire français du comte Jean Marie Donatien de Vimeur de Rochambeau. De plus, la flotte française bloqua le port, empêchant toute opération de ravitaillement par mer, pendant que les troupes franco-américaines encerclaient la ville.
De façon inexplicable, Cornwallis abandonna une ligne de quatre fortins qui dominaient les positions britaniques, qui furent occupées par les attaquants. Les nord-américains commencèrent les opérations de siège du côté oriental le 30 septembre, et le 9 octobre ils furent assez près pour commencer un bombardement d'artillerie. Le 14 octobre, américains et français occupèrent deux autres fortins et la position anglaise devint intenable. Les britaniques tentèrent sans succès une sortie le 16, puis prétendirent traverser la rivière vers Gloucester le 23, mais une tempête le rendit impossible. Sans nouvelles de Clinton et au vu du manque de munitions et d'aliments, Cornwallis se rendit le 19 octobre de 1781. C'était la fin de la guerre et il est fort possible que le siège de Yorktown au meilleur moment ait été le résultat de l'information donnée par l'agent "du Temps".
01/05/2012
Agence du Temps 1.2
Mai 1944 (Un mois avant l'épisode antérieur)
L'agent de la Résistence était allé à Louvain pour rencontrer "Max", le chef de la faction réaliste de la résistence belge face à l'occupation allemande. Max était en réalité un historien éminent, professeur à l'université, qui vivait près de l'Institut Supérieur de Philosophie, à la Tiensestraat.
- Vous savez que le gouvernement belge en exil, depuis qu'il s'est regroupé à Londres, est très ennuyé avec le roi Léopold parce qu'il a déclaré la reddition et continue à insister sur la neutralité de la Belgique.
- Le roi a toujours voulu rester en marge, dans l'espoir de gagner la bonne volonté d'Hitler et d'obtenir ainsi, plus tard, l'indépendance du pays -répondit Max-.
- C'est ainsi. Mais en ne se prononçant pas sur les arrestations de juifs et l'envoi forcé des jeunes pour travailler dans des fabriques allemandes, il a rendu le gouvernement furieux. Ils considèrent qu'il est devenu un collaborateur. Et maintenant que les alliés préparent un grand débarquement pour reconquérir l'Europe, ils croient qu'il sera un obstacle pour l'action libératrice, et cet obstacle doit être éliminé.
- Ils en arriveraient à promouvoir un attentat contre lui?
- C'est plus que possible. Nous venons de savoir qu'ils l'ont ordonné et le message a été envoyé au Front de l'Indépendance.
- Les communistes! Qui de plus accomplirait un ordre de ce type? Je dois avertir au plus tôt Clase, pour qu'il mobilise l'Armée Secrète!
- Rien de cela! Vous pouvez avertir Clase, mais seulement pour qu'il soit au courant. Il ne faut pas que se produise une escarmouche entre différents groupes de la Résistence. Seuls y gagneraient les boches.
- Vous avez raison! Alors, nous pouvons alerter le roi et lui peut demander aux allemands qu'ils augmentent sa protection.
- Il serait bon qu'il le sache, pour qu'il fasse attention à l'intérieur du palais, mais ne peut pas demander plus de protection. Les allemands en demanderaient la raison et, dans ce cas, il révélerait qu'il a des contacts avec la Résistence. C'est impossible.
- Mais alors, comment empêcher cet attentat contre le roi?
- Il me semble qu'il faut chercher un moyen d'avertir les allemands. Leur révéler les plans de Pierlot [le chef du gouvernement en exil].
- Et comment faire cela?
- Leur faire arriver une copie de l'ordre envoyé au Front de l'Indépendance. Leur faire croire qu'ils l'interceptent par hasard. Ainsi il prendraient des mesures pour protéger le roi.
- Bonne idée! C'est faisable. Si nous avions l'ordre et pouvions être sûr qu'ils le comprendraient sans révéler nos codes.
- Je peux vous obtenir l'ordre dans un code qu'ils seront capables de traduire sans risques pour vous. Je vous suggère d'utiliser le fantasme pour le planter.
- Vous connaissez le fantasme?
- Vous devez savoir que mon équipe est la meilleure en matière d'intelligence et de communications. Nous avons des ressources supérieures même à celles des alliés. Mais nous n'intervenons pas dans l'action directe, justement pour protéger notre réseau et nos sources. Vous trouverez demain le message là où vous savez. Le reste est votre affaire. Mais je vous suggère de faire vite. Nous calculons que le message authentique arrivera ici dans une dizaine de jours. Et le Front sera prêt pour agir une semaine après au plus. C'est tout le temps que nous avons.
- Nous ferons le nécessaire. J'avertirai Clase cette nuit même. Il fera prendre le message et planifiera l'opération avec le fantasme. Merci pour nous avertir. Nous vous le devons.
- Vous savez déjà que vous pouvez compter sur nous.
Le jour suivant, à six heures du soir, lorsque le soir tombait, Max sortit de sa maison comme chaque jour pour faire une promenade au parc Sint Donatus, qui unissait la Tiensestraat con la Naamsestraat. Au parc, dissimulée où il y avait un bac à ordures, était la "boîte aux lettres" de la Résistence. Il avait l'habitude de s'en approcher et d'y jetter le papier d'un caramel ou autre douceur masticable. Et il avait pris l'habitude de tarder toujours un peu, simulant qu'il regardait ce qu'il y avait dans le bac ainsi que de ramasser et lancer dedans l'un ou l'autre déchet tombé à côté. Ainsi, il collaborait à la propreté... et envoyait ou recevait ses messages. Ce jour là, il ramassa le messaje que lui envoyait l'agent du Temps. De retour chez lui, il le lut, s'étonna de la précision des données sur les mouvements des troupes allemandes qui apparaissait avant le message en code relatif au roi Léopold. Cet agent avait réellement un système d'espionage extraordinaire.
Avant de sortir du parc, il avait changé de position quelques pierres près du dernier banc. C'était le signal qui avertirait l'Armée Secrète qu'il désirait une rencontre directe.
L'après-midi suivante, après être passé par le parc, Max entra à l'église Saint Michel, à la sortie du côté de la Naamsestraat. Il se dirigea vers l'un des confessionnaires. Après voir prié quelques minutes, il y entra, restant caché par le rideau.
- Mon père, je vous apporte la liste de mes péchés -dit-il-.
- Que la paix soit ta récompense -entendit-il, en réponse, pour compléter le mot de passe-.
Il résuma brièvement ce que lui avait dit l'agent et passa par le grillage le document qu'il avait reçu. Ensuite, il se retira et rentra chez lui.
L'oberst Scheibert (colonel) de la Belgische-Heeres-Küstenartillerie, la division chargée du contrôle de la côte belge, rencontra son officer d'intelligence.
- Hauptmann, vous avez vu ce que cette centinelle a ramassé hier soir? L'uniforme et les documents?
- Oui, et c'est assez bizarre. L'identification me semble une falsification habile. Il n'existe aucun adjudent Von Richter dans les divisions assignées à la Belgique. Je l'ai déjà vérifié. L'uniforme doit avoir été destiné à un contact de la Résistence. Celui qui le portait s'est échappé. Mais il a perdu aussi autre chose: une information destinée à appuyer les plans de la Résistence.
- Vous avez trouvé de l'information sur les terroristes?
- Le cinturon avait une feuille avec une information qu'aucun officier allemend n'aurait porté là: sur le déplacement de plusieurs de nos unités belges dans les prochains mois et un message chiffré qui, sans doute, doit être un ordre d'action.
- Comment peuvent-ils avoir eu cette information? Et vous avez pu déchiffrer cet ordre?
- La liste des mouvements de troupe démontre qu'ils ont une très bonne source. Il nous faudra enquêter sur cela. Et, oui, j'ai pu traduire l'ordre. Ils ont utilisé une clé que nous connaissons depuis quelque temps mais qui s'emploie peu. Il est étrange que cela ait été écrit, mais cela se doit peut-être à son importance. Le texte est "Le cirque veut se défaire du lion" et nous pensons que cela signifie que le gouvernement en exil veut éliminer le roi.
- Le gouvernement belge veut que la Résistence tue le roi Léopold? C'est de la folie!
- Pas du tout. Ils sont ennemis du roi depuis qu'il a capitulé. Et le qualifient de traître. A un moment ou l'autre, les Alliés tenteront de reconquérir l'Europe et les gouvernants belges veulent se délivrer du roi avant.
- Et que ferons-nous?
- Ce n'est pas notre affaire. Je vais transmettre cela à Berlin. Ils l'évalueront et décideront quoi faire.
Le 7 juin 1944, par ordre du Führer, le roi Léopold et sa famille furent transférés en Allemagne, dans un endroit sur les bords de l'Elbe. Il n'y eut aucun attentat sur la route. Ils avaient réussi à échapper au Front de l'Indépendance.
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