Ainsi, le dimanche matin, après le petit déjeûner, les deux visiteurs se concentrèrent à la prise de notes et l'échange de commentaires pendant qu'ils attendaient la cérémonie de midi.
La place resta vide jusqu'à l'approche de l'heure. Alors, elle commença à se remplir de monde, tous se situant en cercles concentriques autour de la grande horloge solaire du centre de la place. Peu avant midi, l'Imperius et un groupe de maîtres prirent place sur une petite estrade, près de l'horloge. A l'heure fixée, un gong sonna et, de l'entrée du palais -qui avait été rouverte-, sortit un cortège de femmes vêtues de tuniques noires, couronnées de laurier et avec de petites serpes d'or dans les mains, bras croisés sur la poitrine. La foule leur ouvrit rapidement le passage.
- Des prêtresses? -mumura Trompel-. Ça, ce n'est pas commun!
- Ce l'était assez dans la Rome antique -répondit De La Rue-. Ils doivent avoir conservé la tradition.
Les femmes encerclèrent l'horloge solaire et en firent trois fois le tour, tout en entonnant une longue lamentation, répétant le refrain:
- Miserere, Domine, cuia pecavimus tibi. (Pitié Seigneur, car nous avons péché contre toi).
En ce moment, un nuage cacha le soleil mais, comme purent observer -très surpris- Trompel et De La Rue, l'aiguille de l'horloge solaire continua à projeter une ombre, qui commença à tourner en même temps que les femmes se déplaçaient, faisant un tour complet. Cela était évidemment impossible pour une ombre solaire.
- C'est un truc de magie? -souffla Trompel à son compagnon.
- Peut-être. Ou un truc mécanique bien conçu. En tous cas, peu de gens peuvent le voir, sauf ceux qui sont dans les premières files. Ou nous autres.
- Ils auraient monté cela pour nous, qui sommes mieux placés?
- J'en doute. Cela doit faire partie du rituel habituel. Et se produit peut-être seulement quand le soleil se cache. S'il illuminait l'horloge, l'ombre ne pourrait se déplacer.
La dernière prêtresse avait apporté un grand vase d'eau. Elle prit une branche d'olivier et, pendant que les autres continuaient à tourner, se mit à asperger la multitude.
- Aspergesme, domine, et super nivem dealbabor -chantait le choeur- (Asperge-moi, Seigneur, et je serai blanc comme neige).
Ensuite, elles allèrent s'incliner devant l'Imperius et retournèrent au cercle autour de l'horloge.
- Procedamus! -cria-t'il-. Sit nomen Chroni benedictus. (Procédons. Que le nom de Chronos soit béni.)
- Sit nomen Chroni benedictus -répétèrent tous ceux qui étaient sur la place.
- Benedictus qui venit in nomine Chroni -ajouta l'Imperius, dirigeant la main vers les européens qui regardaient depuis le balcon de l'auberge. (Bénis ceux qui viennent au nom de Chronos).
- Benedictus -répétèrent tous.
- Chroni vobiscum! (Chronos soit avec vous.)
- Et cum animo tuo! (Et avec ton âme.)
Une des femmes, avec cinturon argenté, avait apporté un livre et l'ouvrit de façon solennelle. Elle fit une révérence devant l'Imperius et se mit à lire un passage en langue locale et non en latin.
- D'après ce que j'arrive à comprendre, cela semble être une partie de la prédication du Premier Maître, sûrement de leur livre sacré, une espèce de Bible -dit De La Rue à Trompel.
Il y eut ensuite un autre chant et une prière que tous récitèrent.
Une autre femme, la seule qui portait un cinturon doré, se mit ensuite à parler en post-latin si rapidement que l'historien ne put capter que de rares mots et Trompel, évidemment, n'y comprit rien du tout. Cela semblait une prédication, qui fut écoutée dans le plus grand silence.
Les femmes formèrent ensuite une chaîne, s'unissant par les serpes, et entonnèrent un autre hymne. Ensuite, une autre sortit du palais, escortée de deux gardes blancs, et s'approcha du centre, où la supérieure lui prit, semblait-il, un serment. Elle lui fit aussi boire de l'eau qui avait été utilisée pour bénir la foule. La nouvelle arrivée enleva alors le voile noir qui couvrait entièrement sa tête, laissant voir un voile blanc, et la prêtresse lui mit sur la tête une couronne de laurier. Toutes entonnèrent alors un chant très allègre et firent une nouvelle choréographie. La, sans doute, nouvelle prêtresse se dirigea alors vers l'Imperius, qui l'embrassa.
Finalement, elles se réunissèrent toutes, formant une nouveau cortège qui retourna au palais. La cérémonie était finie et la multitude commença à se disperser. Les deux européens rentrèrent et descendirent à la salle commune, où l'aubergiste commençait à mettre la table pour le grand déjeûner.