Le matin suivant, Servais reçut un appel de Franquin.
- Comissaire, je viens de trouver ici un message de texte de Mousin, par notre réseau interne. Donnez-moi votre adresse de courriel pour vous en envoyer copie. Il s'agit de sa fille.
Servais le lui donna et, peu après, recevait le message qui exprimait ce qui suit:
- Ma fille a été séquestrée. Je ne peux pas parler de cela avec la police et elle ne doit pas s'approcher. Mais les délinquants ne peuvent pas intercepter nos communications internes, et vous pouvez retransmettre ce message au comissaire Servais. On veut que j'obtienne une copie du programme de MEMO et on m'a donné 48 heures pour l'offrir en échange de ma fille. Je peux la voir toutes les six heures pendant quelques minutes en "streaming" d'une caméra web, au travers d'un répéteur qui cache l'adresse IP, et elle se porte bien. J'ai expliqué que les mesures de sécurité du laboratoire rendent impossible de leur donner une copie physique du programme à cause de son extension, car cela impliquerait faire sortir de l'université plusieurs disques durs. Ils ont accepté que je leur donne une clé d'accès pour décharger librement une copie. Mais je ferai -à leur insu- une copie qui contiendra un piège qui nous enverra l'information de tous les proxys (les relais) par où elle passera et, ainsi, nous pourrons savoir où ils sont. Et quand ils essayeront de l'utiliser, elle semblera correcte à première vue, mais je m'arrangerai pour que plusieurs fonctions soient inhabilitées et remplacées par des instructions de retransmission qui, s'ils sont connectés à l'extérieur, nous enverront des informations sur leur propre ordinateur.
J'ai travaillé sur cela avec Benson avant son départ. Il avait pensé que, s'ils avaient été disposés à attaquer Brasseur, ils n'abandonneraient pas facilement et chercheraient une autre façon d'obtenir le programme. Ainsi, il nous a semblé utile de préparer notre propre version, prête pour le piratage.
Servais accusa réception par la même voie et demanda à Franquin de l'avertir à n'importe quelle heure s'il y avait du nouveau. Il demanda aussi comment les séquestreurs se communiquaient avec Mousin et demanda l'information disponible sur tous ceux qui avaient participé au projet ainsi que sur les élèves qui avaient servi de cobayes. Franquin lui confirma que Mousin recevait les instructions par téléphone à son bureau et lui envoya les coordonnées du personnel d'Informatique et des étudiants dans un document annexé. Le comissaire demanda alors l'interception des téléphones du domicile et du bureau de Mousin; ainsi il pourrait monitoriser les appels sans que Mousin le sache. Il appela ensuite Trompel et le mit au courant, lui ordonnant de vérifier les informations sur les élèves impliqués.
A l'université, Franquin et Marchant s'étaient réunis pour continuer à étudier ce qui s'était passé. Franquin mit le médecin au courant du message de Mousin et ils décidèrent de donner priorité à l'information qui pourrait être utile à la police. Mousin révisa les informations dont il disposait sur les étudiants-cobayes, mais rien ne lui parut anormal. Cependant, il envoya la liste de noms au Secrétariat Général de l'université, demandant les données dont eux disposaient et en expliquant le motif. Il proposa ensuite à son co-équipier de vérifier les copies mentales réalisées: si l'un d'eux était impliqué, il y aurait sûrement une piste dans la transcription de sa mémoire. La copie mentale faite par le programme était bien meilleure que le meilleur détecteur de mensonges: tout était enregistré sans pouvoir être falsifié.
- NOTE: "Copier" la mémoire d'un sujet, comme prévu dans le projet mentionné dans ce roman, suppose qu'on localise les traces correspondant au «fichier épisodique» et au «fichier conceptuel» dans la mémoire du sujet et en quelque sorte à transférer ces informations au système informatique. Produire la copie elle-même n'est pas le plus gros problème, car on a déjà conçu des réseaux de neurones artificiels et il est prévu que, au fil du temps, il sera peut-être possible d'en produire d'extension appropriée. Identifier, de façon générale, les jonctions synaptiques cérébrales correspondant aux types de contenus mentionnés ici n'est pas encore possible, bien qu'on commence à travailler dans ce sens. Et en faire une «copie» est encore plus fictif. Surtout si l'on tient compte du fait qu'il est possible qu'une partie de la mémoire ne serait pas seulement «contenue» dans les connexions, mais également stockée dans des protéines ou d'autres composants de cellules nerveuses. Sans un processus conscient (ou semi-conscient) d'évocation, il semble donc extrêmement difficile d'«extraire» le contenu de la mémoire. [On suppose ici, pour les besoins du roman, que c'est possible.]
Le processus d '«intégration» par le supercalculateur signifiait qu'ils contaient aussi maintenant avec une «méta-mémoire», ç'à-d. une sorte de carte de son contenu. La connaissance (fichier conceptuel) des différents sujets forme un grand ensemble, mais les histoires personnelles (fichier épisodique) étaient spécifiques et ne se connectaient que lorsque les différents sujets étudiés s'étaient trouvés ensemble pour une activité donnée. Trouver une implication éventuelle de l'un d'eux dans l'assassinat de Brasseur supposait analyser ces histoires personnelles au cours des dernières semaines: ils devraient y trouver des anomalies ou, en l'absence de celles-çi, faire une liste de tous les contacts personnels et la transmettre au comissaire pour enquête.
- Ordonnons d'abord à la machine de faire un examen de la cohérence -suggéra Marchant-. C'est quelque chose qui était prévu de toute façon, car il peut indiquer des failles dans le processus d'intégration. Mais cela peut aussi montrer si un élève a menti au sujet de quelque chose d'important: avoir mémorisé une histoire qui ne coïncide pas avec l'histoire réelle.
- Excellente idée -répondit Franquin, en cherchant dans le menu l'option, qui était déjà prévue, et la mettant en route.
- Je m'en vais à l'hôpital -déclara Marchant-. Cela pourrait prendre des heures. Faites-moi savoir si vous obtenez quelque chose d'inattendu.
- Je l'appelerai. Pour l'instant, il faut laisser le travail à l'ordinateur. Je vais aussi m'occuper de mes classes, pour reprendre le rythme normal.